À la rencontre des directeurs de fédérations de services à la personne 🤔 des solutions concrètes pour faire face aux défis du secteur
Les cahiers de la Silver économie #11
Les services à la personne sont en croissance constante en France depuis les années 2000. Pourtant, le secteur fait face à un défi majeur : trouver des candidats pour répondre à la demande croissante des clients.
Selon une étude menée par la DARES en 2019, le taux de vacance des emplois dans les services à la personne est de 14,7%, soit deux fois plus élevé que la moyenne des autres secteurs d'activité. Cette situation est d'autant plus préoccupante que le nombre de personnes ayant besoin de ces services ne cesse d'augmenter en raison du vieillissement de la population.
Les raisons apparentes de la pénurie
Les raisons de cette pénurie de main-d'œuvre sont multiples. Tout d'abord, les conditions de travail dans le secteur peuvent être difficiles : horaires décalés, travail le week-end et les jours fériés, salaires relativement bas.
De plus, la nature des tâches à effectuer peut être épuisante physiquement et psychologiquement, ce qui peut dissuader les candidats potentiels.
Par ailleurs, l'image du secteur des services à la personne peut être biaisée, en raison de stéréotypes persistants sur le travail de femme de ménage ou d'aide-soignante. Ces préjugés peuvent dissuader des personnes qualifiées de postuler à ces emplois.
Enfin, la pandémie de COVID-19 a exacerbé les difficultés de recrutement dans les services à la personne. Les mesures sanitaires ont engendré des contraintes supplémentaires pour les travailleurs, qui ont parfois dû assurer des missions plus complexes que d'ordinaire. Les arrêts de travail liés au virus ont également réduit le nombre de candidats potentiels.
Des fédérations mobilisées
Face à ces enjeux, les acteurs du secteur des services à la personne doivent repenser leur stratégie de recrutement et valoriser davantage les métiers qui y sont liés. Pour y parvenir, il est essentiel de travailler sur l'attractivité des emplois, notamment en améliorant les conditions de travail, en proposant des formations et des perspectives de carrière, et en développant la reconnaissance des métiers auprès du grand public.
Nous avons demandé à si fédérations professionnelles (SYNERPA Domicile, FESP, FEDESAP, FEPEM, ADEDOM et UNA) comment ils perçoivent ce problème et comment ils agissent pour y remédier.
Leurs réponses confirment l'importance de travailler sur l'attractivité des métiers, tout en soulignant la nécessité de mettre en place des mesures concrètes pour inciter les candidats à postuler.
Présentation de nos six invités
Hugues Vidor, directeur général d’ADEDOM. Sa fédération professionnelle rassemble 350 associations qui développent des services d'aide et accompagnement a domicile auprès des personnes âgées en situation de perte d'autonomie et des personnes en situation de handicap ou des familles, des services de soins infirmiers à domicile, des centres de santé infirmiers, des services petite enfance.
Julien Jourdan, directeur général de la FEDESAP. Sa fédération professionnelle rassemble plus de 3500 services d'aide et d'accompagnement à domicile (SAAD) : entreprises associations et CCAS. La Fedesap est présente sur l'ensemble du territoire y compris dans les DOM-COM.
Nicolas Hurtiger, président du SYNERPA Domicile. La branche domicile du SYNERPA compte 1060 agences de services d’aide et soins à domicile. Parmi ses adhérents : Adhap Services, Domidom, DomusVi Domicile, Logivitae, Nouvéo, Onela, Petits-Fils, Senior Compagnie, etc.
Pierre-Olivier Ruchenstain, directeur général de la FEPEM. Sa fédération professionnelle représente les particuliers employeurs. Il s'agit des 3,3 millions de particuliers qui font le choix d'employer directement ou via une structure mandataire un ou plusieurs salariés pour répondre à leurs besoins à domicile, sans but lucratif ou effet d'aubaine.
Marianne Piskurski directrice générale d’UNA : UNA (Union Nationale de l'Aide, des Soins et des Services aux Domiciles) est une fédération d'associations prestataires de services à domicile.
Catherine Lopez, directrice générale de la FESP. Cette fédération représente tous les métiers du service à la personne, de la petite enfance au maintien à domicile en passant par le soutien scolaire et les tâches ménagères. Elle compte 3600 adhérents.
Comment les fédérations définissent-elles l’attractivité ?
Les directeurs de différents organismes professionnels s'accordent sur un constat commun : les métiers de l'aide à domicile sont confrontés à une problématique majeure d'attractivité. Les besoins sont criants, et les problèmes structurels sont accentués par les départs en retraite et les effets de la crise sanitaire.
Hugues Vidor (ADEDOM) et Nicolas Hurtiger (SYNERPA Domicile) confirment cette situation difficile, avec respectivement 30 000 postes à pourvoir pour une branche de 228 000 salariés et un manque de 20% de personnes dans le secteur de l'aide à domicile. Pour Pierre-Olivier Ruchenstain (FEPEM), la solution passe par une structuration paritaire du secteur de l'emploi direct, une amélioration de la qualité de l'emploi et une valorisation du métier dans la société.
Marianne Piskurski (UNA) met en avant la capacité du secteur à attirer des candidats qualifiés répondant aux critères de recrutement et Catherine Lopez (FESP) suggère de valoriser l'aspect humain de ce métier, le lien social qu'il crée et l'importance de la relation d'aide. Julien Jourdan (FEDESAP) quant à lui estime que la question de l'attractivité passe par une rémunération et une organisation du travail adaptées, ainsi qu'une qualité de vie au travail.
En somme, pour attirer de nouveaux candidats et lutter contre le manque chronique de personnel, il est nécessaire de valoriser le métier, d'améliorer les conditions de travail, de reconnaître la qualification des professionnels, de revaloriser la rémunération et de proposer des perspectives d'évolution. L'enjeu est d'importance pour permettre à l'ensemble de la société de bénéficier des services de maintien à domicile et de garantir la qualité de vie des personnes âgées et fragiles.
Comment le problème d’attractivité se manifeste-t-il ?
Les différents directeurs interrogés ont tous souligné le problème majeur de recrutement dans leurs métiers, avec des manifestations concrètes identifiées. Hugues Vidor et Catherine Lopez chiffrent les besoins en recrutement, respectivement à 30 000 et 110 000 postes dans leurs secteurs. Nicolas Hurtiger évoque des difficultés de recrutement actuelles compensées par des personnes dévouées et des plannings bien remplis, tandis que Pierre-Olivier Ruchenstain alerte sur les 800 000 emplois à pourvoir d'ici 2030 pour répondre aux besoins de la population vieillissante.
Marianne Piskurski pointe quant à elle des problèmes d'adéquation des candidatures aux profils recherchés, ainsi que des ruptures de contrats en période d'essai. Julien Jourdan insiste sur le paradoxe du secteur, qui malgré la forte demande en aide à domicile est confronté à une fidélisation et professionnalisation difficile des nouvelles recrues.
Tous les directeurs s'accordent sur l'incapacité des services à répondre à la demande en raison de ce manque de personnel, comme le souligne Hugues Vidor avec l'impossibilité de répondre à environ une demande sur cinq fautes de personnel. Catherine Lopez évoque même des entreprises adhérentes qui doivent refuser des bénéficiaires faute d'intervenants suffisants. Les manifestations du problème de recrutement sont multiples, des difficultés à recruter dans les régions frontalières selon Hugues Vidor, à la corrélation avec l'augmentation des sollicitations des services des urgences pour les personnes âgées, en passant par les ruptures de prise en charge des personnes accompagnées à domicile selon Marianne Piskurski.
Le constat est clair, les besoins de recrutement sont urgents et importants, et la difficulté à répondre à la demande entraîne des conséquences concrètes pour les bénéficiaires de l'aide à domicile.
Quels sont les enjeux de l’attractivité dans les services à la personne ?
La question des enjeux de l'attractivité dans l'aide à domicile suscite des réponses variées. Pour Catherine Lopez, le secteur est confronté à une difficulté majeure de recrutement, avec un besoin immédiat de 110 000 emplois sur les activités de garde d'enfants et de maintien à domicile. Pour Marianne Piskurski, les enjeux se résument à la continuité de la prise en charge des personnes âgées souhaitant vivre à domicile. Pierre-Olivier Ruchenstain souligne quant à lui l'importance de compenser le départ en retraite de près de 50% des salariés du secteur d'ici à 2030, soit 660 000 recrutements à prévoir, tout en répondant au vieillissement croissant de la population.
Hugues Vidor pointe du doigt le problème de la rémunération et de la reconnaissance des métiers du domicile, nécessitant à la fois du savoir-faire et du savoir-être. Il évoque également les conditions de travail et les déplacements nécessaires. Nicolas Hurtiger, de son côté, insiste sur les trois points clés de l'attractivité : les conditions salariales, les conditions de travail et les perspectives de carrière. Enfin, pour Julien Jourdan, l'enjeu de l'attractivité réside dans l'anticipation du doublement des demandes d'aide et d'accompagnement à domicile d'ici 2035, avec des infrastructures et des aides à domicile formées à la clé, afin de ne pas mettre en péril le système de santé et de solidarité dans son intégralité.
Quelles solutions les fédérations envisagent-elles ?
Les solutions envisagées pour faire face aux enjeux de l'attractivité dans l'aide à domicile sont multiples et présentées par les différents directeurs interrogés.
Pour Catherine Lopez, il s'agit de travailler avec le gouvernement pour la mise en place d'une filière initiale du CARE et renforcer les liens avec Pôle emploi afin de faciliter les rencontres entre employeurs et demandeurs d'emploi et aller à la rencontre de ces demandeurs d'emploi. En outre, elle souligne l'urgence de répondre rapidement aux besoins et considère que la loi immigration est une réponse.
Pour Marianne Piskurski, il convient de disposer des ressources humaines nécessaires pour assurer la continuité de la prise en charge des personnes âgées souhaitant continuer à vivre à domicile. Elle met l'accent sur les efforts à réaliser en termes de rémunération, de démarche d’ajout de qualité de vie au travail, de prévention des risques et d'actions de formation et de professionnalisation dans une logique de parcours et de mobilité professionnelle.
Pour Pierre Olivier Ruchenstain, la Convention Collective Nationale de la branche du secteur du particulier employeur et de l'emploi à domicile, entrée en vigueur le 1er janvier 2022, est une solution permettant de consacrer un corpus social protecteur pour les salariés. Cela comprend des minima salariaux conventionnels systématiquement supérieurs au SMIC, une politique volontariste de professionnalisation donnant accès à 58h de formation dès la première heure travaillée, un comité d'entreprise, la couverture des risques par un système efficient de prévoyance, une indemnité de départ volontaire en retraite prenant en compte l'ensemble de l'activité du salarié dans le secteur et la santé au travail.
Pour Hugues Vidor, l'enjeu premier est celui de la rémunération et de la reconnaissance. Il préconise la réévaluation des rémunérations à travers la signature de l'avenant 43 permettant une hausse des rémunérations, ainsi que la sensibilisation des conseillers Pôle emploi sur les besoins en personnel. Il considère également qu'il est nécessaire que les métiers du domicile soient mieux reconnus et milite pour une grande loi nécessitant un débat citoyen et national afin de développer l'offre et de mieux organiser la gouvernance et le financement.
Nicolas Hurtiger propose plusieurs solutions. Il estime qu'il faut mieux valoriser et mieux rémunérer le travail en augmentant les salaires, mais également mener une véritable politique volontariste de regroupement des filières professionnelles de l'aide à domicile à l'EHPAD en passant par les résidences services ou les habitats alternatifs. Il propose de débloquer les processus de VAE beaucoup trop longs et complexes, de sensibiliser les conseillers Pôle emploi sur les besoins en personnel et de communiquer nationalement sur les besoins massifs de recrutements de ce secteur.
Julien Jourdan propose également de créer les conditions d'une véritable filière professionnelle en instaurant une obligation de formation pour tous les salariés, en créant une carte professionnelle et en instaurant de réelles passerelles entre l'aide et le soin dans le cadre des services autonomie. Il souhaite également sanctuariser les aides à l'apprentissage pour rendre les métiers du grand âge plus attractifs auprès des jeunes. Enfin, il propose de créer les conditions d'une reconnaissance sociale des aides à domicile en instaurant une journée nationale et en adoptant un seul nom pour l'exercice de ce métier.
Quels sont les résultats obtenus à date ?
Les intervenants du secteur des services à la personne ont dressé un bilan mitigé des résultats obtenus à ce jour.
La FESP a réussi à instaurer un crédit d'impôt et une avance immédiate pour réduire le reste à charge des bénéficiaires, mais réclame une revalorisation de l'APA et de la PCH.
La Fédésap a, quant à elle, obtenu la création d'un tarif national plancher pour l'APA et la PCH, mais juge son montant insuffisant.
La CNSA, à laquelle participe la FESP, est soutenue dans ses mesures pour répondre à la question de l'équité de traitement et à la réforme des SAAD vers les services autonomie.
Le SYNERPA Domicile a obtenu l'instauration d'un tarif plancher de rémunération des heures réalisées par les services, mais considère que cela ne suffit pas à réformer structurellement le secteur.
Pour sa part, la branche du particulier employeur a mis en place une entité unique, l'APNI, pour œuvrer à la mutualisation des cotisations sociales et alléger la charge des dispositions sociales consacrées par la Convention Collective sur chaque particulier employeur.
Les intervenants ont souligné la nécessité de poursuivre les négociations avec les organisations syndicales et les partenariats avec les pouvoirs publics pour mieux répondre aux besoins des personnes fragiles et améliorer les conditions de travail des professionnels du secteur.
Malgré ces résultats mitigés, les directeurs restent mobilisés pour défendre les avancées sociales déjà obtenues et proposer de nouvelles mesures.
Hugues Vidor compte sur la loi PPL sur le bien vieillir pour proposer de nouvelles solutions.
Nicolas Hurtiger souhaite aller plus loin dans la réforme structurelle du secteur.
Pierre-Olivier Ruchenstain met en avant la nécessité de mutualiser les cotisations sociales à l'échelle de la branche afin d'assurer l'effectivité du corpus social.
Marianne Piskurski insiste sur la nécessité de développer les partenariats institutionnels et de contribuer à l'évolution des référentiels métiers.
Catherine Lopez milite pour une revalorisation de l'APA et de la PCH, pour une prise en compte réelle de la prestation rendue et pour que tous les acteurs puissent se développer quel que soit le mode d’organisation, à condition de répondre à un cahier des charges exigeant, qui s’impose à tous.
En somme, les directeurs reconnaissent que des efforts supplémentaires sont nécessaires pour obtenir des résultats satisfaisants et qu'il est primordial de continuer à travailler en collaboration avec les différentes parties prenantes.
Conclusion
Ces échanges avec les directeurs de fédérations de services à la personne montrent une volonté commune de s'engager dans des démarches pour améliorer les conditions de travail et les rémunérations des professionnels de ce secteur en France. Les différentes fédérations se mobilisent autour de la question de la politique salariale, de la valorisation des métiers et de la formation. Les partenariats avec les pouvoirs publics, les organisations syndicales et les autres acteurs du secteur sont soulignés comme des éléments clés pour mener à bien ces démarches.
Cependant, il est évident que ces fédérations font face à des défis importants. La question de la reconnaissance et de l'attractivité des métiers reste un enjeu phare, ainsi que la réduction des risques professionnels. Les avancées sociales majeures mises en place sont encore trop récentes pour mesurer leurs résultats.
Il est donc essentiel de poursuivre les efforts en cours et de continuer à mobiliser tous les acteurs concernés pour améliorer les conditions de travail et de rémunération des professionnels de ce secteur, qui jouent un rôle crucial dans la qualité de vie des personnes fragilisées ou en perte d'autonomie. Les propositions et les engagements des différentes fédérations sont autant de signes encourageants pour l'avenir d’un secteur au cœur de la filière Silver économie.
Rendez-vous le 6 avril 2023
Le numéro 12 des Cahiers de la Silver économie sortira le jeudi 6 avril 2023. Nous vous dresserons un vaste panorama des enjeux d’urbanisme et d’aménagement du territoire dans la Silver économie.
D’autre part, afin de marquer dignement le premier anniversaire de nos publications, nous préparons un nouveau livre blanc pour donner suite à l’opus publié en mars 2023.
Nous avons lancé les travaux de cette suite qui paraîtra au mois de mai 2023.
Vous pouvez retrouver le premier opus ici :