Comment adapter l'espace public au vieillissement ?
L'avis de 3 experts de l'urbanisme, de l'aménagement du territoire et de l'architecture
Dans quelques mois, Ma Prime Adapt’ entrera en vigueur. Cette aide proposée par Luc Broussy dans son rapport de mai 2021 devrait contribuer à créer un contexte favorable à l’adaptation des logements au vieillissement.
C’est un premier pas, important, mais non suffisant.
Pourquoi ?
Parce que le logement adapté n’est qu’un élément du quotidien des seniors.
Quoique l’on fasse pour respecter le choix des citoyens de vieillir chez eux, nos efforts ne seront payés en retour que si ces logements adaptés sont installés dans des immeubles adaptés, eux-mêmes adaptés (voirie, services…).
L’adaptation de la société au vieillissement relève donc d’une approche globale et panoramique.
On doit tout adapter !
L'adaptation de l'espace public aux besoins des personnes âgées est un enjeu majeur pour notre société vieillissante. Dans cet article, nous allons examiner comment les espaces publics peuvent être conçus de manière inclusive pour tous, en nous appuyant sur les réflexions de trois intervenants de renom.
Fany Cérèse, architecte et associée gérante de l'Atelier AA - Architecture Humaine, défend une approche plus participative et inclusive de l'urbanisme. Elle souligne l'importance de l'adaptation de l'espace public aux besoins de tous les citoyens, quel que soit leur âge ou leur handicap, et l'implication des parties prenantes dans la conception des aménagements.
Emmanuelle Le Bris, directrice adjointe Programme Petites Villes de Demain au sein de l’ANCT (Agence Nationale de la cohésion des territoires) insiste sur la nécessité d'une approche intégrée pour la planification urbaine. Elle souligne l'importance de considérer les facteurs environnementaux, sociaux et économiques pour construire des villes durables et inclusives.
Enfin, Carlos Moreno, expert international de la Smart City humaine, défend le concept de la ville du quart d'heure. Cette approche vise à permettre à chaque habitant de satisfaire ses besoins essentiels, avec plus de services partout dans la ville, en réduisant les déplacements contraints, en ayant plus de temps « utile », en privilégiant les courtes distances et la mobilité « bas carbone ». La ville du quart d'heure propose un modèle d'organisation urbaine basé sur une proximité plus épanouie, pour répondre aux enjeux de développement durable notamment la réduction des émissions de carbone, d'amélioration de la qualité de vie urbaine, d'amélioration de la santé et de renforcement du lien social.
Ces différents intervenants nous montrent que l'adaptation de l'espace public aux besoins des personnes âgées est un enjeu majeur pour la qualité de vie de l'ensemble de la population. Il s'agit d'une question de planification territoriale bien pensée, qui doit être élaborée de manière participative et inclusive pour répondre aux besoins de tous les citoyens.
Contextualisation
La population européenne, urbanisée à plus de 80%, n’a aucune raison majeure de changer radicalement son mode d’habitat. Pour elle, la maison est en outre bien plus qu’un simple logement ; c’est un investissement à forte valeur symbolique qui est souvent associé aux images de loisirs, de vacances et de famille.
Jean Haëntjens - La ville Frugale
Urbanisme et espace public
L'urbanisme organise l'espace urbain pour répondre aux besoins des populations, tout en respectant les contraintes environnementales et économiques. Les urbanistes travaillent sur la mobilité, l'habitat, les espaces verts, les équipements publics, l'énergie, etc. Ils peuvent travailler pour des organismes publics, des entreprises privées ou des organisations à but non lucratif.
Une planification urbaine bien pensée peut contribuer à la création d'environnements urbains plus durables, plus inclusifs et plus résilients. Par exemple, des espaces verts bien conçus peuvent améliorer la qualité de l'air, réduire les îlots de chaleur et offrir des opportunités de loisirs. De même, une mobilité urbaine efficace peut réduire les embouteillages, les émissions de gaz à effet de serre et les temps de déplacement.
Les urbanistes doivent travailler avec les communautés locales pour comprendre leurs besoins et préoccupations, pour s'assurer que leurs plans et projets répondent aux besoins des habitants. L'urbanisme joue un rôle crucial dans la création de villes durables et résilientes pour les générations présentes et futures.
Les enjeux
Un espace public inadapté peut entraîner l'isolement et l'insécurité, en particulier pour les citoyens ayant des besoins spécifiques en matière d'accessibilité et de mobilité. Il peut nuire à la qualité de vie en ne répondant pas aux besoins des habitants. Ou en créant des tensions et des conflits entre les différents groupes d'utilisateurs de l'espace public. Dans les cas les plus extrêmes, cela peut conduire à la création de "prisons dorées", des quartiers exclusifs et fermés qui excluent les populations les plus vulnérables.
Cet environnement aura des conséquences négatives sur la santé physique et mentale des habitants, en les privant d'un accès facile aux espaces verts, aux équipements sportifs et culturels, aux services de santé et aux commerces de proximité.
De plus, un urbanisme inadapté peut également aggraver les problèmes environnementaux, tels que la pollution de l'air et de l'eau, la congestion du trafic et les îlots de chaleur urbains qui ont un impact négatif sur la qualité de vie et la santé des habitants.
Il est donc essentiel de prendre en compte les besoins et les préférences des utilisateurs de l'espace public dans la planification et la conception des villes et des quartiers. Cela peut être réalisé en encourageant la participation active des résidents, des groupes d'intérêt et des organisations de la société civile dans le processus de prise de décision, en utilisant des outils de planification participative tels que les ateliers de quartier et les sondages en ligne. De plus, les urbanistes et les décideurs politiques devraient adopter une approche holistique de la planification urbaine, en intégrant les dimensions sociales, économiques et environnementales dans la conception des villes et des quartiers.
Si une personne âgée logée dans un appartement au 3ème étage sans ascenseur ne peut plus faire ses courses, cela ne signifie pas pour autant qu’elle ne serait pas capable de les faire dans un environnement adapté.
Fany Cérèse
I. Comment adapter l'espace public aux seniors
Fany Cérèse est architecte et associée gérante de l'Atelier AA - Architecture Humaine. Avec ses associés, elle propose d'accompagner les projets à toutes les étapes de leur développement afin de mettre l'humain au cœur de la conception. Cet atelier est particulièrement spécialisé dans l'accompagnement des établissements médico-sociaux dans la transformation de leur offre.
Fany Cérèse a d'ailleurs consacré une thèse de doctorat, publiée en 2015, à ce sujet.
L'objectif de sa thèse est de démontrer scientifiquement les bienfaits d'une architecture de type domestique en maison de retraite. L'idée est de pouvoir convaincre un secteur - celui du médico-social - qui se médicalise un peu plus chaque jour et qui voit sa culture de plus en plus imprégnée du monde soignant, souvent issu de l'hôpital.
Car il s'agit ici de prendre soin et non de soigner les personnes accueillies. Il s'agit de les accompagner chez elles, la maison de retraite n'étant pas une succursale de l'hôpital, qui lui est avant tout un lieu de travail ergonomique pour que les professionnels du soin puissent accomplir leurs actes de soin.
Pour Les Cahiers de la Silver économie, nous avons demandé à cette experte sa définition de l’espace public et sa perception d’un espace public adapté au vieillissement.
Interview de Fany Cérèse à propos de l’espace public
Comment définir l’espace public ?
Fany Cérèse : L’espace public est par définition tout l’espace qui n’est pas privé. Il peut s’agir des rues, des places, des parcs. Ce sont des lieux dans lesquels les individus se croisent et peuvent avoir des usages gratuits, libres et partagés. On peut y observer la vie urbaine et y avoir une vie sociale très développée. Ce sont des lieux de mixité où s’expriment la culture et les modes de vie des habitants. L’espace public est donc par définition public, c’est-à-dire ouvert à tous. Il est le lieu de l’inclusion et de l’exercice de la citoyenneté par essence et il paraît essentiel que son traitement et son aménagement permettent à toutes les catégories de la population d’y accéder et de s’y installer, indépendamment de l’âge ou du handicap.
Selon vous, l’espace public actuel est-il assez adapté aux besoins des publics âgés ?
Fany Cérèse : Les obligations en matière d’accessibilité de l’espace public depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et ses décrets d’application, ont contribué à rendre ces lieux plus praticables. Pour autant, ces aménagements ne suffisent pas toujours pour les personnes âgées.
Parmi les principaux freins pour un usage de l’espace public par nos aînés, on compte notamment :
L’absence ou le manque de bancs ; pouvoir s’asseoir régulièrement sur son trajet répond au besoin de repos lié à la fatigabilité du corps âgé.
L’absence ou le manque d’ombre ; par forte chaleur, il peut être nécessaire de se protéger en raison d’une plus grande fragilité. S’il était bon que les rues et places soient végétalisées pour augmenter le confort thermique, il conviendrait tout particulièrement d’assurer de l’ombre au niveau des assises.
Le manque de signalétique, notamment au niveau des feux, ne permet pas de savoir combien de temps il reste pour traverser la rue avant que les voitures ne redémarrent.
La présence de vélos, trottinettes, skateboards sur les trottoirs et cheminements piétons crée un sentiment d’insécurité important pour les personnes qui craignent d’être renversées, qui sont souvent surprises par ces deux-roues qui passent vite et très près. Les personnes savent bien qu’à un certain âge toute chute peut avoir des répercussions très importantes sur leur autonomie.
Pour toutes ces raisons, nombre d’entre eux choisissent peu à peu de ne plus sortir. C’est une question d’aménagement bien sûr, mais c’est surtout une question de décalage de rythme. Dans l’espace public, tout va trop vite, on est bousculé.
Qui doit prendre en charge l’adaptation de l’espace public à ces besoins ?
Fany Cérèse : L’aménagement de l’espace public est une compétence municipale et l’on peut regretter que trop souvent les projets de réfection soient pensés dans une logique de travaux publics et de voiries et non comme un projet social, celui d’inclure tout un chacun.
Comment peut-on associer les seniors à ce processus d’adaptation ?
Fany Cérèse : À travers des missions d’assistance à maîtrise d’usage, il est possible d’associer l’ensemble des parties prenantes dont les personnes âgées à la conception de ces aménagements, en mobilisant par exemple les clubs du 3ème âge.
Quel est l’impact d’un espace public bien adapté sur les publics “fragiles” ?
Fany Cérèse : La mobilisation de l’intelligence collective permet de créer des espaces à haute qualité d’usage, des lieux de vie publics en phase avec les aspirations et besoins des personnes pour une ville apaisée où le confort de tous se trouve positivement impacté (parents avec les poussettes, personnes chargées, étrangères, en situation de handicap, etc.)
Comment mesurer l’impact des adaptations sur le bien-être des seniors ?
Fany Cérèse : Plusieurs études abondent en ce sens. Il est possible de recourir à la démarche d’Évaluation d’Impact sur la Santé (EIS) ou encore à des démarches d’évaluation post-occupationnelles qui existent depuis plusieurs décennies dans le cadre des projets d’aménagement urbain afin de vérifier leur efficacité.
II. Créer ou rénover ?
Vous vous demandez sûrement comment adapter l'espace public concrètement et vous sentez peut-être poindre deux options.
La première serait de créer ex nihilo des villes nouvelles inclusives, la seconde d’adapter l’existant.
Séduisante “sur le papier”, la création d’une ville nouvelle conçue dès le départ pour répondre aux besoins actuels et futurs, notamment en termes de mobilité, de services et d'espaces publics adaptés à tous les citoyens. Y compris les personnes âgées et les personnes à mobilité réduite peuvent sembler séduisante, mais elle se révèle bien souvent coûteuse, chronophage et devant susciter une d’attractivité suffisante pour motiver les citoyens à y emménager. Surtout, ce modèle est incapable de garantir une équité territoriale.
Dans le deuxième cas, il s'agit de repenser l'espace public dans les villes existantes, en fonction des besoins et des contraintes locales. Cette approche peut être plus complexe, mais elle présente également des avantages, notamment en termes de préservation du patrimoine existant et d'intégration sociale.
Comment fait-on concrètement ?
Difficile de donner une réponse unique car chaque ville a ses particularités et nécessitera une approche adaptée.
Toutefois, quelques pistes de réflexion peuvent être envisagées, telles que :
Impliquer les citoyens dans la réflexion et la conception de l'espace public, en organisant des consultations publiques et en recueillant leurs avis et leurs besoins.
Repenser l'aménagement des rues et des places pour favoriser les mobilités douces, les transports en commun et les déplacements à pied.
Créer des espaces publics conviviaux, attractifs et adaptés à tous les usagers, notamment les seniors et les personnes à mobilité réduite.
Favoriser la végétalisation de l'espace public pour améliorer la qualité de l'air, réduire la chaleur urbaine et favoriser la biodiversité.
Développer des services de proximité pour répondre aux besoins des citoyens, notamment en termes d'accès aux soins, de commerces de proximité et de loisirs.
En somme, l'adaptation de l'espace public est un enjeu majeur pour améliorer la qualité de vie des citoyens et répondre aux défis de la transition démographique. Il n'y a pas de solution unique, mais plutôt une multitude de pistes à explorer, en concertation avec les citoyens et les acteurs locaux.
Approfondissons cette approche de l’adaptation en mettant à contribution deux experts et en analysant deux contextes distincts : les petites villes et les métropoles.
III. Comment adapter les petites villes ?
Nous avons posé la question à Emmanuelle Le Bris, responsable du programme Petites villes de demain, piloté par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
Cette structure accompagne les collectivités dans le développement de leurs projets de territoire. Créée le 1er janvier 2020, elle regroupe le Commissariat général à l'égalité des territoires, l'Agence du numérique et Epareca.
Zoom sur le programme Petites Villes de Demain
Le programme Petites villes de demain, lancé en France en 2020, est un dispositif d'accompagnement des communes rurales de moins de 20 000 habitants dans leur développement et leur attractivité.
Il vise à améliorer leur attractivité et la qualité de vie de leurs habitants en travaillant sur des enjeux tels que la revitalisation des centres bourgs, la transition écologique, la mobilité, etc. Les communes participantes bénéficient d'un appui technique et financier de l'État pour la mise en œuvre de projets concrets.
Le programme Petites Villes de Demain permet d'accompagner 1.600 villes et intercommunalités de moins de 20.000 habitants ayant une fonction de centralité dans leur territoire, pour élaborer leur stratégie de revitalisation.
Interview de Emmanuelle Le Bris à propos du programme Petites Villes de Demain
Quel est l'objectif principal du programme Petites villes de demain de l'ANCT ?
Emmanuelle Le Bris : Le programme vise avant tout à améliorer la qualité de vie des habitants des communes accompagnées, ainsi que de la population environnante. Il offre un accompagnement et des moyens aux élus locaux pour agir : requalification des espaces publics, rénovation et réhabilitation des logements aux besoins actuels et futurs, etc. Le but est de proposer à la population locale un cadre de vie agréable en lui offrant un accès à une offre de services diversifiée et adaptée : offre commerciale, résidentielle, culturelle, etc. de qualité et à proximité.
Quels sont les enjeux liés au vieillissement dans les petites villes de demain ?
Emmanuelle Le Bris : Les chiffres sont explicites : le vieillissement est plus marqué dans les Petites villes de demain qu'en France, les enjeux le sont donc aussi. Par exemple, 12,6 % des habitants ont plus de 75 ans contre 9,3 % à l'échelle nationale. Seulement 12,2 % des établissements d'hébergement pour personnes âgées dans ces Petites villes de demain sont des structures pour personnes autonomes, contre 16,7 % à l'échelle de la France. Les formes d'habitat et les espaces publics doivent être repensés pour offrir aux personnes âgées la possibilité de vivre dans les petites villes tout en favorisant leur autonomie.
Y a-t-il des projets existants pour répondre à ces enjeux ?
Emmanuelle Le Bris : Le sujet est déjà investi par un certain nombre d'élus, tant dans une phase de réflexion que dans une phase opérationnelle. Le nombre de projets déposés dans le cadre de l'Appel à Manifestation d'Intérêt expérimental de soutien de l'habitat inclusif dans les Petites villes de demain en est un exemple : 86 projets ont été déposés par une collectivité PVD en 2022.
Comment accompagner la transition démographique des territoires ?
Emmanuelle Le Bris : Chaque situation territoriale est unique, c'est pourquoi l'approche du programme Petites villes de demain est personnalisée. Pour accompagner la prise de conscience et la réflexion des élus, l'ANCT propose un atelier in situ intitulé "Petites villes de demain : comment accompagner la transition démographique de vos territoires ?" les 13 et 14 juin à Jonzac. Ce format d'atelier fournira un cadre de réflexion, d'échange et de débat pour comprendre les mécanismes des actions développées et prendre de la hauteur grâce à l'expérimentation sur le terrain et l'apport de contenu scientifique.
Quels sont les éléments à prendre en compte pour penser un cadre de vie agréable pour les personnes les plus fragiles ?
Emmanuelle Le Bris : Penser un cadre de vie agréable pour les « anciens », c’est penser la ville de demain. Travailler sur une ville adaptée aux enjeux climatiques, offrant une large place aux mobilités douces, une offre de soins adéquate et des formes d’habitat renouvelées, c’est proposer une ville adaptée aux personnes les plus fragiles.
IV. Comment adapter les métropoles ?
Nous avons eu l’opportunité de poser cette question à Carlos Moreno
Qui est Carlos Moreno
Né en Colombie en 1959, Carlos Moreno est arrivé en France à l’âge de 20 ans. Il est aujourd’hui professeur des universités, expert international des villes et territoires de demain. Ce scientifique humaniste a connu un parcours exceptionnel qu'il qualifie lui-même de "chemin", passionné par l'innovation, la créativité, l'exploration, mais également par les échanges, les connexions et les liens tissés avec les autres.
L'urbanisation génère certes des richesses, mais elle engendre également des inégalités et de l'exclusion sociale si elle n'est pas gérée de manière équitable et inclusive. Il est donc primordial de mettre en place des politiques urbaines qui favorisent la participation citoyenne, l’inclusion et l'accès aux services de base tels que le logement, l'emploi, la santé et l'éducation pour garantir une urbanisation durable et juste.
Carlos Moreno
Interview de Carlos Moreno à propos de la ville du quart d’heure
Quels sont les enjeux les plus importants que présente la ville du quart d'heure ? En quoi ce modèle de ville peut-il contribuer à une meilleure qualité de vie pour les habitants et notamment des publics fragiles comme les seniors ?
Carlos Moreno : Le concept de la ville du quart d’heure propose de permettre à chaque habitant de satisfaire ses besoins essentiels avec plus de services disponibles partout dans la ville, en réduisant les déplacements contraints et en privilégiant les courtes distances de moins de 15 minutes, par exemple, pour une mobilité plus respectueuse de l'environnement. Cette approche vise à offrir plus de temps « utile » et une vie plus apaisée. Six fonctions sociales essentielles du quotidien sont ainsi prises en compte : le logement, le travail, l'accès aux soins, l'approvisionnement, l'apprentissage et l'épanouissement. La ville du quart d’heure propose un modèle urbain basé sur une proximité plus épanouie pour répondre aux enjeux de développement durable tels que la réduction des émissions de carbone, l'amélioration de la qualité de vie urbaine, la promotion de la santé et le renforcement des liens sociaux.
Dans le contexte de mutation démographique, l’adaptation de la ville aux besoins spécifiques des seniors prend tout son sens. Avec l’âge, l’expérience spatiale et sociale se modifie : évolution des capacités perceptives, réduction de la mobilité, stigmatisation sociale. En outre, on constate avec le vieillissement, le rétrécissement du territoire de vie utile. Nous voulons sortir du passage obligé par la case EHPAD et favoriser une continuité de vie “hors les murs” autant que faire se peut.
L'organisation urbaine de la ville du quart d'heure se connecte avec l'expérimentation renforcée de la proximité des personnes âgées : elles doivent pouvoir trouver les fonctions urbaines et sociales nécessaires à leur bien-être à proximité de leur logement. Ainsi, la ville du quart d'heure leur permettra d'habiter, de s'approvisionner, de se soigner et de se divertir à proximité. Des efforts doivent être accomplis pour apporter des services aux personnes âgées afin de rompre avec l'ostracisme du lieu fermé qui casse le lien social voire familial. Nous voulons développer cette "médiation inversée" où ce sont les services qui se rapprochent des gens afin de les ouvrir davantage à un lien social plus dense. C'est aussi donner plus de qualité de vie à celles et ceux qui ont des incapacités physiques, propres à l'âge, qui se cumulent alors avec les difficultés sociales et culturelles induites par leur isolement. En outre, la dimension "inclusive" de la ville du quart d'heure implique des espaces publics réalisés dans une logique d'accessibilité universelle et favorable à la santé (espaces verts, qualité de l'air, bancs et fontaines à eau...). C'est aussi une autre approche vis-à-vis des emplois d'assistance et de compagnie. Privilégier une vie socialisée, éviter de sombrer dans la médication et le retrait de la vie sociale arrivant comme une conséquence de la vie derrière des murs peu amènes.
Quelles sont les perspectives pour le développement de la ville du quart d'heure ?
Carlos Moreno : La ville du quart d’heure connaît un retentissement international. Le concept est soutenu par des organisations mondiales. Le réseau mondial des villes pour le Climat, le C40 l’a adopté depuis la pandémie du COVID-19 en 2020, de même que l’association des villes et gouvernements locaux unis, CGLU, UN - HABITAT, l’Organisation Mondiale de la Santé, par ses bienfaits physiques et mentaux et bien d’autres organisations internationales.
Ce concept est reconnu comme une approche novatrice pour construire un futur urbain résilient et durable. La ville de Paris a été pionnière et l’approche s’est rapidement diffusée en France (Nantes, Mulhouse, Metz, Reims), mais aussi en Espagne (Barcelone), en Italie (Milan) ou encore au Canada (Ottawa, Montréal) et en Australie (Melbourne) sous différentes appellations, telles que la proximité multiservicielle ou la ville polycentrique.
Dans le monde, les villes de toutes tailles, ainsi que les territoires tels que l'Écosse, déploient des stratégies de transformation basées sur la "ville du quart d'heure" pour les zones compactes et sur son "jumeau", « le territoire de la demi-heure », pour les moyennes et faibles densités. Les municipalités et les urbanistes sont conscients de la nécessité impérieuse de transformer les territoires pour préserver la planète. Les impacts de ces transformations sur les modes de vie seront conséquents. Il est donc nécessaire d'adopter une politique urbaine et territoriale ambitieuse. Selon moi, la pédagogie, la présentation de solutions et d'exemples sont les moyens les plus efficaces pour encourager le changement en rassurant et en accompagnant. Aujourd'hui, des exemples dans différentes parties du monde encouragent l'émulation et plusieurs outils pédagogiques ont été développés pour mieux comprendre les enjeux et les démarches entreprises.
Quels sont les problèmes pratiques à surmonter pour la mise en place de la ville du quart d'heure ?
Carlos Moreno : Pour concrétiser cette vision de la ville, il s’agit de faire des choix sur les types de commerces, de services et de logements à développer sur le long terme. Cela demande du courage et, dans certains centres-villes, cela nécessite de trouver des montages économiques spécifiques. De nouveaux modèles économiques sont apparus, des acteurs de la « polyvalence fonctionnelle », du multi-usage des lieux, d’autres formes de mobilité en lien avec des proximités polycentriques et des services à valeur ajoutée pour donner plus d’impact à l’économie locale. Mais, il s’agit également de donner plus de place à la nature en ville. Or, les espaces verts ne sont pas « rentables » d’un point de vue économique, bien qu’ils aient de fortes externalités positives. C’est une autre prise de conscience face aux enjeux sanitaires et de biodiversité qui sont devant nous. Les réticences citoyennes peuvent également poser un problème, car profiter de la qualité de vie et des services de la ville du quart d’heure n’est pas compatible avec une circulation automobile permanente en zones compactes… Et certains ne sont pas prêts à laisser la voiture au garage.
Pour que chacun puisse profiter d’une qualité de vie donnant plus de sens à une vie de quartier, dans son village, retrouver de nouvelles formes de voisinage, de solidarité, de commerces de proximité, du lien social, le modèle urbain proposé doit être porteur d’équité et d’inclusion. En effet, cette approche vient transformer notre manière de vivre, après des décennies de « zonification », de segmentation, de fractures urbaines et territoriales, de gentrification, normalisées par l’urbanisme moderne, qui avec la Charte d’Athènes a consacré comme succès, “la ville qui va vite et va encore plus loin”, pour reprendre la formule de Le Corbusier. La distance est devenue un vice, là où le couple proximité / densité organique était une vertu. La ville a été aménagée pour les infrastructures, les routes pour les voitures et on a délaissé la qualité de vie des habitants au quotidien. La mobilité est devenue contrainte et le temps utile de vie individuel, familial et social a été sacrifié au profit du temps de déplacement souvent inconfortable, propre au triptyque « métro - boulot - dodo », pour faire un raccourci populaire de cette dégradation subie.
Le défi est celui des mixités, qui sont les grandes perdantes de cette ville segmentée : mixité fonctionnelle mais aussi sociale, intergénérationnelle et du genre. Nous avons un vaste chantier, dont la prise de conscience est à peine récente. Qui se souvient qu’en 1989, il y a eu en Europe la “Déclaration de Bruxelles”. Ce texte prévoit que “toute intervention sur la ville européenne doit obligatoirement réaliser ce qui toujours fut la ville, à savoir : des rues, des places, des avenues, des îlots, des jardins… Soit des “quartiers”. Toute intervention sur la ville européenne doit par contre bannir les routes et les autoroutes urbaines, les zones mono fonctionnelles, les espaces verts résiduels. Il ne peut y avoir ni zones “industrielles”, ni zones “commerçantes”, ni zones “piétonnières”… Mais seulement des quartiers incluant toutes les fonctions de la vie urbaine […] ». Avec la ville du quart d’heure et le territoire de la demi-heure, nous sommes dans cette lignée portée par André Barey, Maurice Culot, Philippe Lefèbvre, qui en ont fait la promotion à l’époque mais qui est vite tombée dans l’oubli, par la primauté du “productivisme fonctionnel”, qui a occupé l’essentiel de la forme urbaine.
Il est temps de retrouver le repos utile, la convivialité, la proximité heureuse. Il est temps de se dire “bonjour” de nouveau, en humains dignes. Le grand Edgar Morin nous l’a dit un matin dans ses 98 ans, dire “bonjour” en vrai à quelqu’un nous dignifie car cela veut dire “tu existes”.
Il est temps d’exister dans nos proximités pour retrouver l’envie d’être ensemble, et pour les personnes les plus âgées de leur signifier que nous sommes en humanité pour prendre soin les uns des autres. C’est le vrai sens de la vie. C’est cela le sens profond de la proximité heureuse de la ville du quart d’heure et du territoire de la demi-heure.
Conclusion
En conclusion, il est clair que les enjeux d'urbanisme et de l'aménagement du territoire sont nombreux et complexes. Les programmes tels que Petites villes de demain, la ville du quart d'heure, le territoire de la demi-heure, offrent des solutions innovantes pour répondre aux besoins des populations, en particulier les plus fragiles comme les seniors, en donnant aux élus les méthodes et les moyens d’agir.
Il est important de continuer à développer ces programmes pour créer des villes plus durables, plus inclusives et plus agréables à vivre pour tous. Cela nécessite de repenser notre façon de concevoir la ville, en privilégiant la proximité, la mixité et la convivialité, pour offrir des cadres de vie adaptés aux évolutions démographiques et climatiques.
Ai je loupé quelque chose ?
Je ne lis rien sur les Villes amies des Aînés ?
Sont elles incluses dans « les petites villes de demain » ?
Ce serait intéressant de recenser les acteurs des premières pour éviter les redondances !
Merci
IJ Deloche