L’habitat partagé en théorie
A quoi ressemble l’habitat partagé
Les habitats partagés sont une alternative entre grands ensembles et domicile privé. Ce sont des colocations à taille humaine qui privilégient la convivialité et le vivre ensemble. En moyenne, un habitat partagé accueille de 6 à 20 personnes, mais il n’existe pas de limite légale.
Bâti en maison indépendante ou dans un immeuble, dans le neuf ou l’ancien, l’habitat partagé est composé de parties privatives (les habitants sont chez eux) et d’espaces communs. La répartition entre le privatif et le partagé varie selon les projets et la typologie des habitants.
Depuis 2015, plusieurs régimes juridiques ont sécurisé les habitats partagés, facilitant ainsi leur développement.
Enjeux de commercialisation : partenariats
L’enjeu majeur de tout projet d’habitat partagé, c'est l'accès à un foncier attractif (situation géographique, qualité du bâti, modernité, habitat adapté, accès aux services, etc.).
C’est pourquoi la majorité des acteurs développent des partenariats avec des promoteurs, des investisseurs spécialisés ou des foncières. Cette association évite aux porteurs de projet d’avoir à supporter l’investissement foncier.
Elle offre aux investisseurs une opportunité de développement à caractère social avec une rentabilité sur le long terme, soit en perception de loyers, soit en défiscalisation, soit en revente avec plus-value.
Enjeux et perspectives de développement
En 2020, on dénombrait 5000 places en habitat partagé, dont 60 à 70% destinés à une population adulte handicapée, hors seniors.
Un rapport gouvernemental de juin 2020 (Piveteau - Wolfrom) évalue à 140 000 le besoin de créations d’ici à 2030. Des experts estiment qu’il faudrait en créer 200 à 250 000 pour répondre à la demande.
Les 3 enjeux pour développer ces structures et les imposer dans le paysage sont :
Plus de partenaires financiers et immobiliers pour accélérer la construction,
Un travail de sensibilisation des citoyens, des collectivités locales et des acteurs institutionnels pour accélérer son identification,
Une structuration des professionnels de ce secteur pour accompagner les initiatives et pérenniser les projets.
L’habitat partagé en pratique : interview croisé de Simon Vouillot (Ages&Vie) et Maxence Petit (Cosima)
Pouvez-vous présenter vos structures, vos partenaires et actionnaires, le nombre de maisons à date et le nombre d'ouvertures prévues d'ici à 2024.
Simon Vouillot (SV) : Ages&Vie est une entreprise qui construit et gère, de A à Z, des colocations pour personnes âgées dépendantes avec accompagnement 365j/an de nos auxiliaires de vie. L’idée est simple : partager non seulement son domicile mais aussi ses aides à domicile, pour pouvoir demeurer jusqu’au bout dans un endroit convivial et familial, et éviter le départ vers l’institution.
Nous avons crée Ages&Vie au début des années 2000 à Besançon. Le succès a été assez rapide et vingt ans plus tard, nous comptons plus de 100 sites d’implantation partout en France, près de 800 salariés et plus de 1000 personnes âgées (et aussi quelques personnes handicapées) accueillies. Une explication à cela, très simple : nous répondons à un très fort besoin de solutions nouvelles. Là où les solutions proposées aux personnes âgées restent souvent insatisfaisantes, entre aide à domicile « à l’ancienne » et EHPAD, nous avons été les pionniers d’une véritable troisième voie en train de s’affirmer. D’ici quelques années, nous espérons doubler voire tripler de taille.
Maxence Petit (MP) : Cosima est une entreprise à mission créée en 2020 que nous détenons (à 100 %) avec mon associé, Antoine Prigent. Notre ambition : proposer des domiciles partagés et accompagnés destinés à des personnes âgées en perte d’autonomie.
Nous avons ouvert notre premier domicile partagé en 2021 à Lourdes et prévoyons une quinzaine d’ouverture d’ici 2024 dont Enghien-les bains, Saint Cloud, Sannois, Draveil et Aix-en-Provence ; avec l’appui de notre partenaire immobilier Piereval Santé.
Comment définissez-vous les habitats que vous développez ?
SV : Une « maison Ages&Vie », c’est un bâtiment (ou deux bâtiments très proches) regroupant deux colocations de 8 personnes âgées au rez-de-chaussée, et à l’étage des logements de fonction pour celles(ceux) de nos auxiliaires de vie qui habitent sur place en logement de fonction.
Nous sommes clairement une alternative à l’EHPAD. Parce que nous l’avons voulu ainsi : Un habitat apte à héberger des personnes même très dépendantes, et un fort niveau de service. Nos auxiliaires de vie (3 temps plein par colocation) sont présentes 24h/24 (en astreinte sur place pour intervenir immédiatement en cas de souci la nuit). Les professionnels du secteur parlent de « taux d’encadrement » pour qualifier la densité du service : nous sommes à environ 0,40, les EHPAD autour de 0,55, et les résidences autonomie plutôt en dessous de 0,20.
MP : Cosima vient du Grec « harmonie »…
Nos domiciles partagés pour personnes âgées ont l’ambition de proposer une expérience de vie proche de la vie de famille. Nous créons des lieux de vie à taille humaine (groupe de 8 personnes) intégrés au sein d’habitats classiques, pour que les colocataires ne soient pas déconnectés de la société.
À cela s’ajoute la présence 24h/24 d’une équipe d’intervenants dédiée qui accompagne les colocataires dans tous les actes de la vie quotidienne, stimulent leur autonomie, développent du lien social et veillent au bien-être individuel et collectif des habitants.
Qu'est-ce qui vous distingue des résidence services seniors et résidences autonomie ?
SV : Notre raison d’être est de proposer une alternative à l’EHPAD à des personnes qui sont, le plus souvent par dépit et pour des raisons de perte d’autonomie, contraintes de quitter leur domicile et pour ce faire cherchent une réponse forte en termes d’accompagnement : aide au lever, à la toilette, à l’habillement, au déplacement, à la prise de repas, …
Pour tenter de décrire l’attente d’un client – une cliente le plus souvent ! – d’Ages&Vie, tentons le petit scénario suivant :
« J’ai 87 ans, j’aurais préféré rester chez moi mais ce n’est plus possible. Je suis néanmoins satisfaite de trouver un vrai domicile, inséré dans la vie, pas loin de chez moi, adapté à mon besoin au sein duquel je serai bien accompagné(e) et bien entouré(e). J’espère pouvoir y finir ma vie sereinement sans avoir à partir un jour vers l’EHPAD ».
Très schématiquement, nous analysons l’offre des résidences services seniors et résidences autonomie comme une réponse centrée sur l’HABITAT, pour répondre à l’isolement et au besoin de renforcer le lien social. L’offre Ages&Vie étant en comparaison très renforcée sur l’accompagnement, pour répondre à une demande double HABITAT + ACCOMPAGNEMENT FORT. A nos yeux, ces deux approches sont complémentaires.
MP : Nos domiciles partagés sont destinés à des personnes âgées en perte d’autonomie qui ne peuvent plus ou ne souhaitent plus rester seules à leur domicile.
Notre approche s’applique dans l’organisation générale du domicile partagé ainsi que dans la posture des intervenants puisque chaque colocataire est invité à faire et à participer dans la mesure de ses capacités et de ses envies. Individualiser l’accompagnement sans infantiliser les colocataires, voilà qui résumerait notre philosophie.
Quel est l'enjeu de l'habitat partagé : est-ce une alternative à des solutions existantes ou bien apportez-vous une réponse à un nouveau besoin ?
SV : Je préfère parler d’habitat inséré, partagé et accompagné. Trois qualités pour répondre aux attentes fortes des seniors d’aujourd’hui : Créer (ou conserver) le lien humain. Rester au cœur de la vie. Vivre normalement. Faire ses choix. Être accompagné pour garder le maximum d’autonomie et vivre le plus normalement possible.
Aujourd’hui, en France, combien de solutions répondent réellement à cette attente ? Très très peu. Combien en existera-t-il demain, quand les papy-boomers, qui bientôt entreront massivement en dépendance (+1 à 2 millions d’ici 10 ans) obtiendront enfin une réponse satisfaisante à leur demande ? Enormément ! Nous estimons le besoin à plus de 300.000 places à créer d’ici 2030.
MP : Notre enjeu : réintégrer les seniors dans la société et trouver des solutions accessibles au plus grand nombre pour répondre aux enjeux du vieillissement et s’y adapter.
De plus en plus de personnes souhaitent vieillir chez elles et ne plus aller dans des EHPAD. Nos domiciles partagés se positionnent entre les deux solutions puisque nous accueillons des personnes en perte d’autonomie (évaluées GIR 3 ou 4) pour qui l’EHPAD n’est pas adapté (personnes très dépendantes) et le logement individuel trop coûteux (avec le recours d’une auxiliaire de vie à domicile).
Qu'est-ce qui freine le développement de ces structures ?
SV : L’attente est là. Mais souvent les personnes ne connaissent pas les solutions. Ce qui est logique parce que nous restons encore forts petits au regard des besoins, et encore tellement peu reconnus par les institutions !
L’inertie administrative freine énormément. La bureaucratie française n’écoute pas le besoin. Convaincue de détenir la vérité, elle se fige sur des textes dépassés par les innovations qu’elle tarde à reconnaître. Sous couvert de protéger les personnes âgées, on les infantilise. Sous couvert de planifier, on fige tout !
Le paysage gérontologique français, c’est le musée Grévin : rien ne bouge. Simon Vouillot (Ages&Vie)
De canicule en affaire ORPEA, l’opinion s’émeut régulièrement – à juste titre – et on crie au scandale. Puis rien ne change.
MP : Nous constatons qu’il y a peu de freins aujourd’hui si ce n’est une méconnaissance des besoins d’accompagnement des habitants d’un habitat partagé. L’accompagnement à mettre en place est différent de celui délivré par un SAAD classique à domicile, car il doit conjuguer besoins collectifs et besoins individuels.
Comment les pouvoirs publics pourraient faciliter votre travail ?
SV : En changeant leur façon de penser : Arrêter de décider à la place des gens ce qui est bon pour eux. Reconnaître qu’une personne, même très âgée, même dépendante, reste un citoyen. Qu’il faut lui donner la parole et l’écouter. Qu’il reste le mieux placé pour savoir ce qui est bon pour lui. Qu’il veut et doit pouvoir choisir pour ce qui lui reste de vie. Croyez-vous vraiment que les vieux souhaitent vivre entourés de blouses blanches ? ’est pourtant ce qu’on leur impose dans les EHPAD.
Ouvrons les portes et les fenêtres, écoutons les gens, libérons les innovations. Aujourd’hui nous n’avons pas le droit de nous implanter dans certains territoires simplement parce que l’administration locale ne nous a pas inscrit dans son schéma. Schéma qui date d’il y a cinq ans, et qui sera peut-être révisé dans 2 ans !
Je crois en une collectivité publique régulatrice. Mais aujourd’hui elle planifie tout. C’est un échec.
MP : Les pouvoirs publics pourraient simplifier le processus de validation des autorisations nécessaires à la création de SAAD dédiés, avec des équipes formées et une réflexion de fond sur le sujet.
Vous avez co-fondé le collectif 150 000 en 2030, quel est l'objectif de cet organisme ?
SV : Nous voulons peser dans le débat public pour faire reconnaître nos innovations. Notre ambition est de réunir les faiseurs qui font naître concrètement, sur le terrain, les solutions de demain, et souhaitent se développer. Nous sommes modestes, car nous restons à l’écoute de nos clients (nous préférons ce terme à celui d’«usager », « bénéficiaire », ou « résident ») pour comprendre leurs attentes, mais également très ambitieux car nous voulons répondre à une demande que nous pressentons immense.
Un tiers-secteur est en train de naître : il faut le faire connaître, l’organiser, faciliter les échanges, favoriser les bonnes pratiques. La tâche est immense, et exaltante !
MP : Avec cette démarche collective, nous souhaitons permettre aux personnes âgées de vivre dans les meilleures conditions possibles, pour le bien-être de tous.
La boite à outils de la filière
En mai 2021, Luc Broussy a remis au gouvernement un rapport consacré à l’adaptation du logement à la transition démographique. Cinq de ses 80 propositions doivent contribuer au développement d’habitats inclusifs.
Proposition n°10 : Rendre possible pour les associations la sous-location de logements sociaux aux personnes âgées.
Proposition n°11 : Relancer le concept de foyer-soleil dans le parc social.
Proposition n°12 : Inclure les habitats inclusifs dans le dispositif Censi-Bouvard.
Proposition n°13 : Intégrer les espaces communs d’un habitat inclusif dans le périmètre des prêts aidés et du crédit d’impôt.
Proposition n°14 : Assouplir les conditions d’autorisation des SAAD dédiés à la délivrance de services dans un habitat alternatif
Quelle est la différence de coûts entre Ehpad et habitat partagé?