Intelligence Artificielle : Une révolution pour la Silver économie ?
Connexions entre IA et Silver économie | interview de Nicolas Chiquet, CEO de Life Plus | Interview de Aurélie Jean, Docteure en sciences, entrepreneure et autrice
Il ne se passe pas une journée sans que l’intelligence artificielle fasse la une. Depuis qu’elle a été rendue populaire par le lancement public de Chat GPT le 22.11.22, cette technologie numérique inventée il y a près de 50 ans fait l’objet d’incessantes communications.
Face à cette effervescence autour de l'intelligence artificielle et son impact potentiel dans des domaines aussi variés que la santé, l'éducation, ou encore l'économie, il est devenu impératif de décrypter et d'analyser ses applications concrètes, en particulier dans la Silver économie.
L'évolution rapide de l'IA générative et son intégration croissante dans les entreprises, associations et administrations soulèvent des questions fondamentales sur les bénéfices, les défis et les perspectives d'avenir de cette technologie.
C'est dans ce contexte que nous avons décidé de réaliser un dossier dédié à l'IA, afin de fournir une compréhension claire et approfondie de son rôle transformateur.
Nous explorons comment l'IA peut améliorer la qualité de vie des personnes âgées, tout en mettant en lumière les enjeux éthiques, sociaux et économiques associés.
Ce dossier ambitionne d’équiper les professionnels de la Silver économie, ainsi que le grand public, des connaissances nécessaires pour naviguer dans cette nouvelle ère technologique.
Une brève définition de l’IA
Définir l'intelligence artificielle (IA) revient à explorer la frontière où la technologie rencontre l'humain. L'IA, par essence, cherche à mimer les capacités humaines telles que le raisonnement, la planification et la créativité.
Elle dote les systèmes techniques de la faculté de percevoir leur environnement, d'analyser ces perceptions, de résoudre des problèmes et d'agir en conséquence pour atteindre des objectifs spécifiques.
Cela signifie que, grâce à l'IA, un ordinateur peut recevoir des données — qu'elles soient préparées à l'avance ou collectées via ses propres capteurs, comme une caméra — les traiter et réagir en fonction de celles-ci. Plus impressionnant encore, ces systèmes sont capables d'apprendre de leurs actions, s'adaptant et modifiant leur comportement pour devenir plus efficaces au fil du temps.
Cette capacité d'auto-améliorations ouvre des horizons inédits, faisant de l'IA non seulement un pilier de la transition numérique mais aussi une priorité stratégique à l'échelle mondiale, notamment pour l'Union Européenne.
Sa présence déjà tangible dans notre quotidien n'est qu'un avant-goût des transformations radicales qu'elle promet pour l'avenir.
Quelles applications de l’IA dans la Silver économie ?
Au sein de la Silver économie, l'intégration de l'IA pourrait ouvrir des voies inédites pour le bien-être et l'autonomie des seniors. Examinons quelques-unes de ces potentialités au conditionnel :
Personnalisation des soins : L'IA pourrait permettre d'adapter les programmes de santé à chaque senior, en tenant compte de leur historique médical, préférences, et style de vie, pour une meilleure efficacité des traitements.
Assistance virtuelle : Des assistants virtuels, conçus pour comprendre le langage naturel, pourraient offrir une présence constante, aidant les personnes âgées dans leurs tâches quotidiennes et luttant contre l'isolement.
Détection précoce des risques : Par l'analyse continue des données de santé, l'IA pourrait identifier précocement les signes avant-coureurs de maladies, permettant des interventions rapides.
Amélioration de l'habitat : L'intégration de l'IA dans la domotique pourrait rendre les environnements de vie des seniors plus sûrs, avec des fonctions comme la détection de chutes et la gestion intelligente du domicile.
Freins et défis
Cependant, l'adoption de ces innovations pourrait se heurter à plusieurs défis :
Sécurité des données : La protection des informations personnelles est primordiale, en particulier lorsque ces données sont d'ordre sensible.
Accessibilité : Il est crucial d'assurer que tous les seniors, y compris ceux moins familiers avec la technologie, puissent bénéficier de ces avancées.
Complémentarité humaine : Il est important de veiller à ce que l'IA serve de complément et non de substitut aux interactions humaines et aux soins professionnels.
Acceptation par les salariés, les familles, et les personnes âgées : L'enjeu majeur réside dans l'acceptation de ces technologies. En cas de rejet, les innovations risquent de ne pas atteindre leur plein potentiel. Cela souligne l'importance d'une communication efficace et d'une pédagogie adaptée, pour montrer les capacités de l'IA mais également ses limites. L'objectif est de la percevoir comme un outil facilitant certaines tâches, permettant de se consacrer davantage à l'essentiel.
Soucieux de vous éclairer sur l’évolution des technologies et les opportunités qui en découlent, nous vous proposons un dossier spécial IA.
Dans ce contexte, notre dossier comprendra :
Une interview d'Aurélie Jean, offrant son expertise sur le potentiel de l'IA générative dans la silver économie.
Un entretien avec Nicolas Chiquet, explorant l'utilisation de l'IA par Life Plus dans la prévention des chutes.
À travers ce dossier, nous souhaitons offrir un éclairage sur les opportunités que l'IA générative pourrait représenter pour la Silver économie, tout en abordant les défis à surmonter pour une intégration réussie et bénéfique pour tous.
Interview de Nicolas Chiquet, CEO de Life Plus
Nicolas Chiquet est le fondateur et PDG de Life Plus, une agetech qui développe des solutions permettant aux seniors de rester actifs et en sécurité. Fondée en 2015, Life Plus s'est rapidement imposée comme un leader dans le domaine des technologies pour seniors.
Life Plus travaille avec les directions d'établissements médico-sociaux tels que les EHPAD et les résidences autonomie. L’entreprise développe et commercialise des solutions innovantes visant à faciliter le travail du personnel soignant et à améliorer la prise en charge des seniors. Leurs clients principaux incluent les décideurs au sein de ces structures, confrontés à des défis tels que le recrutement de personnel qualifié et la nécessité de maintenir les établissements à pleine capacité pour assurer leur rentabilité.
Life Plus se concentre sur l'efficacité et l'adoption facile de ses solutions par les professionnels et les seniors, sans ajouter de charge de travail supplémentaire, tout en améliorant la qualité de vie et la santé des résidents.
Impact de l’IA dans l’organisation
Qu'est-ce qui a changé dans l'activité de Life Plus après le 22 novembre 2022 avec la sortie de Chat GPT ? Pouvez-vous parler de l'impact sur votre activité, votre gestion interne et vos produits et services ?
Nicolas Chiquet : Cela n'a rien changé dans ma vie quotidienne ni dans l’activité de Life Plus. Cela a simplement montré au monde entier qu'il y avait des travaux et des produits intéressants. Chez Life Plus, nous utilisons les techniques d'IA, notamment le machine learning, pour améliorer la détection de situations d'assistance et réduire les faux positifs depuis 2015.
L'IA est un outil formidable qui peut aider à développer des fonctionnalités plus efficaces pour améliorer la vie des gens. Par exemple, utiliser Chat GPT pour une étude de marché peut permettre de gagner du temps. L'IA peut également être utile dans la création de contenu régulier ou dans le développement informatique, mais il est essentiel de rester prudent en termes de qualité et de sécurité.
L'IA est là pour aider à faire mieux, mais elle n'est pas une finalité en soi. Dans le domaine de la Silver économie, les technologies de l'IA doivent être utilisées pour mieux accompagner les seniors et les aidants, afin d'améliorer leur qualité de vie.
Qu’est-ce qui devrait et ne devrait pas être remplacé par l’IA dans la Silver économie ?
Nicolas Chiquet: En ce qui concerne la population senior, qui est celle que l'on connaît le mieux, le lien humain a énormément de valeur. Il est à la fois précieux d'un point de vue commercial, mais il a également une valeur pour la santé, au sens large défini par l'OMS. Sans ce lien humain, la santé n'est plus là, la personne est isolée, et d'ailleurs, l'isolement des personnes âgées est l'un des premiers critères de fragilisation.
Et pour les intervenants à domicile, c'est la même chose, il y a des opportunités. Je pense qu'il y a des choses formidables à faire pour leur faire gagner du temps, par exemple, sur les tâches administratives, la facturation, la prise de notes concernant ce qu'ils ont fait pendant le rendez-vous. Imaginons qu'un professionnel effectue de nombreuses visites à domicile.
Cela permet d'économiser du temps, et l'IA générative l'aide à rédiger son compte rendu en l'enrichissant, car elle connaît son agenda et sait qu'il s'est rendu à telle adresse, à tel endroit, et qu'il y a passé tant de temps. Cela lui fait gagner du temps et lui permet de consacrer davantage de temps aux soins, à l'écoute des personnes tout au long de la journée.
Ce que la démocratisation de l’IA a changé dans la relation commerciale entre Life Plus et les établissements
Comment l'introduction de l'intelligence artificielle a-t-elle influencé les besoins et les attentes de vos clients dans le secteur des établissements médico-sociaux, et quels aspects des solutions Life Plus trouvent-ils particulièrement attrayants ?
Nicolas Chiquet : L'introduction de l'IA n'a pas vraiment modifié les besoins fondamentaux exprimés par nos clients. Ils cherchent avant tout à recruter un personnel qualifié et engagé pour s'occuper des seniors, tout en veillant à ce que leurs établissements soient pleins, pour éviter les pertes financières. Ces préoccupations demeurent au premier plan, indépendamment des solutions que nous proposons.
Ce qui les attire dans nos solutions, c'est leur efficacité et la facilité avec laquelle elles peuvent être intégrées, sans ajouter de charge de travail supplémentaire pour les professionnels. Cela apporte une réelle plus-value, non seulement au personnel mais aussi aux seniors, en améliorant notamment leur santé. Nos clients évaluent l'efficacité de nos solutions en les testant et en demandant des références et des preuves de leur fonctionnement.
Bien que nous n'ayons pas spécifiquement concentré nos efforts sur l'aspect régénératif de nos solutions, notamment en ce qui concerne les comptes rendus dans les établissements médicaux, l'essentiel pour nos clients reste l'acquisition de solutions innovantes qui simplifient le travail du personnel et améliorent la prise en charge des seniors. Cela est particulièrement crucial dans le contexte actuel, quelque peu tendu, du secteur médico-social.
Ils ne s'intéressent pas au fait que c'est de l'IA, mais plutôt à pourquoi c'est la meilleure solution en termes de qualité. Et combien de temps cela fait gagner au personnel. Et comment cela améliore les soins que nous fournissons. - Nicolas Chiquet
Le regard des investisseurs sur l’IA
Est-ce que les investisseurs considèrent l'IA comme un argument clé lors des levées de fonds, similaire à la tendance observée avec la deep tech et la blockchain, ou est-ce que cela ne s'applique pas à ton cas spécifique malgré l'annonce de ta levée de fonds ?
Nicolas Chiquet : Les thématiques de l'IA ne sont pas juste des mots à la mode pour nous. Les investisseurs cherchent à comprendre quel est le marché adressable, notre capacité à générer des revenus, et si notre activité est rentable. Notre objectif n'est pas de vendre purement de la technologie ou d'être rachetés par un géant du numérique, mais de créer un service utile pour accompagner les seniors.
Si notre solution apporte de la valeur et améliore les résultats grâce à l'IA, cela intéressera les investisseurs. Cependant, si cette technologie est utilisée comme un simple buzzword et que lors de l'audit les investisseurs découvrent une réalité différente de ce qui a été présenté, cela nuira gravement à la levée de fonds.
Ils investissent dans une équipe, une solution concrète et des entreprises ayant prouvé leur potentiel. Lever des fonds n'est pas une question de buzzwords ou de belles présentations. C'est un processus complexe qui requiert une démonstration tangible de la capacité de l'entreprise à valoriser l'investissement. La priorité pour un entrepreneur doit rester la vente d'un produit de qualité et la preuve de succès, pas le packaging extérieur.
Lever des fonds dépasse la simple utilisation de termes tendance ou de présentations attrayantes. Cela requiert une preuve concrète de la valeur et de la capacité d'une entreprise à rentabiliser les investissements. L'essentiel pour un entrepreneur est de concentrer ses efforts sur la qualité du produit et sa capacité à prouver son succès. - Nicolas Chiquet
Enjeux et perspectives d’avenir pour Life Plus
Penses-tu que l'intégration croissante de l'IA dans ton activité et l'évolution du marché nécessitent une moralisation et une réglementation plus strictes en Europe, notamment en ce qui concerne les risques potentiels et la pertinence des réglementations par rapport aux GAFAM ?
Nicolas Chiquet : Notre entreprise suit un plan d'investissement défini, et l'émergence de technologies comme GPT n'a pas modifié notre approche. Nous restons attentifs aux innovations et sommes prêts à intégrer rapidement de nouveaux algorithmes qui pourraient enrichir nos solutions, centrées sur la détection de fragilités et la recommandation de mesures préventives. L'IA générative, spécifiquement, n'influence pas directement notre activité.
Cependant, l'accessibilité croissante aux modèles open source et aux avancées en recherche constitue une opportunité d'accélérer notre développement et d'améliorer nos performances. L'IA, utilisée judicieusement, a le potentiel d'optimiser le système de santé, en particulier dans l'accompagnement des seniors.
Quant à la réglementation, bien que je ne sois pas expert, je reconnais l'importance d'un cadre équilibré. L'Europe, avec des normes comme le RGPD, offre déjà une protection significative des consommateurs. Si l'Europe adopte une approche similaire pour l'IA, cela pourrait renforcer la sécurité sans nécessairement freiner l'innovation.
Il est crucial de trouver un équilibre entre l'avancée technologique et la protection des données personnelles, un principe que nous intégrons dans toutes les étapes de développement de nos solutions. - Nicolas Chiquet
Interviews de Aurélie Jean
Docteure en sciences, entrepreneure et autrice, Aurélie Jean est reconnue pour son expertise en algorithmes et modélisation numérique. Elle a étudié à l'université Pierre-et-Marie-Curie, l'École normale supérieure Paris-Saclay, et à l’École nationale supérieure des mines de Paris. Spécialisée dans la modélisation numérique appliquée à la médecine, elle a contribué à des projets majeurs aux universités d'État de Pennsylvanie et au MIT.
Fondatrice d’une agence de conseil et de développement en algorithmique et en data, et d’une startup deeptech en IA appliquée à la médecine, elle navigue entre recherche et développement, enseignement continu et conseil des deux côtés de l’Atlantique.
Son ouvrage De l’autre côté de la machine traite des biais algorithmiques, soulignant son engagement pour clarifier la science des données. Aurélie est reconnue par Forbes parmi les personnalités françaises influentes.
Règlement et éthique de l’IA
Dans un contexte où l’Union Européenne cherche à soutenir l'innovation tout en promouvant l'éthique et la transparence dans l'IA, quelle est, selon vous, la meilleure approche pour réglementer l'IA afin qu'elle serve au mieux les intérêts des citoyens, en particulier ceux de la population vieillissante ?
Aurélie Jean : Un règlement européen sur les IAs est en soi une bonne idée en encourageant les acteurs à concevoir et appliquer une gouvernance algorithmique d’excellence par l’emploi de bonnes pratiques de développement, de réflexion, de test, et d’usage par exemple. Cela étant dit, il faut que ce règlement encourage l’innovation publique et privée tout en protégeant les droits fondamentaux des individus, au risque de perdre en dynamique scientifique, technologique, sociale et économique en comparaison à d’autres nations.
Il est important d’assurer que les technologies algorithmiques que nous concevons incluent et ne discriminent pas les séniors au risque de diviser la société en les mettant à l’écart et en détruisant le lien intergénérationnel.
Il faut rappeler que la majorité écrasante des concepteurs d’IAs sont des hommes jeunes, ce qui peut biaiser les résultats algorithmiques si on ne teste pas correctement les outils et si on ne les pense pas à 360 degrés de façon inclusive, avant même le développement.
Les seniors sont souvent discriminés dans les études sur la santé ou sur les comportements financiers. Il est important de prendre conscience de cette discrimination historique (la longévité n’étant pas si élevée dans le passé) et culturelle, quand on conçoit ces technologies.
Remplacement de l’humain par l’IA
Quelle part des métiers d'aujourd'hui sera remplacée par l'IA d'ici 2030-2040 et quel rôle les humains joueront-ils dans ce monde où l'IA est intégrée au travail ? Comment peuvent-ils se préparer dès maintenant pour ne pas être dépassés par la technologie ?
Aurélie Jean : Quand on pense aux conséquences de l’IA sur le travail, il ne faut pas penser en termes de métier mais en termes de tâches constituant ces mêmes métiers. En pratique, l’IA va interférer jusqu’à remplacer certaines tâches que les humains réalisaient.
Pour la première fois de l’histoire de l’humanité, une innovation a des conséquences profondes sur ce qu’on nomme les travailleurs de la connaissance, et donc des intellectuels (ou cols blancs), ce qui a comme résultat une sorte de panique apparente dans le débat d’idées par ces mêmes personnes qui doivent repenser leurs rôles dans la société.
Contrairement aux IAs, les humains maîtrisent d’autres intelligences en plus de l’analytique, comme les intelligences émotionnelles, créatives et pratiques que l’humain doit développer et étendre.
Comment l'IA pourrait-elle contribuer à une meilleure organisation et productivité dans les métiers des services à la personne, notamment face à la raréfaction du nombre d'actifs causée par le vieillissement de la population, et même rendre ces métiers plus attractifs ?
Aurélie Jean : Les technologies algorithmiques peuvent, si on les conçoit bien, permettent de créer du lien intergénérationnel par des technologies inclusives dans leur dimensionnement et dans leurs applications. En cela, en effet l’IA permettant une certaine précision, personnalisation et automatisation peut aider dans les services à la personne en permettant aux humains travaillant dans ces services de valoriser leurs compétences proprement humaines aux intelligences que l’IA ne maîtrise pas.
Enjeux de prévention et d’empowerment
Avec l'IA devenant de plus en plus accessible au grand public, comment voyez-vous le rôle de l'IA dans la prévention santé pour les seniors et dans l'empowerment de cette population face aux technologies numériques ?
Aurélie Jean : L’IA va de toute évidence permettre de diminuer la dépendance des personnes séniors via le développement d’une robotique toujours plus efficace et plus précise. Dans le domaine de la santé, l'hôpital de Montréal (le CHUM) est un bon exemple d’usage de technologies robotiques embarquant de l’IA qui facilite le travail des aides soignants et qui donnent plus d’autonomie aux patients dans des moments intimes comme lors de la toilette par exemple.
Le patient retrouve ainsi sa dignité dans de nombreuses situations. On aurait pu également évoquer tous les domaines de la médecine qui vont progresser grâce à l’IA et qui vont permettre aux séniors comme tous les individus de mieux vivre. Parmi ces domaines, on peut citer la médecine de précision, la médecine personnalisée ou la médecine prédictive.
Discrimination technologique
Comment pouvons-nous aborder et corriger la « discrimination technologique » envers les seniors, en particulier en ce qui concerne la conception des algorithmes et la collecte des données ?
Aurélie Jean : C’est un point d’une grande importance. La discrimination technologique existe bien, mais elle n’est en aucun cas une fatalité. Au contraire, on peut l'empêcher par des bonnes pratiques de conception qui font partie de la gouvernance algorithmique.
Les nombreux scandales et controverses mis à jour ces dernières années ont principalement porté sur les femmes et les personnes de couleur. Cela étant dit, l'âge qui est peu considéré dans de nombreux domaines, peut être un facteur discriminant lors de la conception de l’algorithme, dans le choix des jeux de données d'entraînement par exemple. N’oublions pas que les concepteurs et certains propriétaires de ces technologies sont plutôt jeunes.
Sur l’adaptation des technologies IA aux besoins des seniors
Quelles innovations en IA, appliquées à la médecine, sont les plus prometteuses pour améliorer la santé et le bien-être des seniors ? Comment ces technologies peuvent-elles être adaptées pour répondre à leurs besoins spécifiques ?
Aurélie Jean : Au regard de ce que j'ai vu au CHUM dans l’optimisation de l’autonomie des patients, je crois énormément à ces technologies pour nous assister à tous les moments de nos vies. Les séniors en font bien évidemment partie. Si on reste sur le domaine de la santé, encore une fois les innovations dans la médecine personnalisée et de précision vont permettre à chacun de suivre encore mieux sa santé en temps quasi-réel, et de permettre au corps médical de suivre encore mieux les patients dans la prévention qui sera alors valorisée par les modèles d’IAs embarqués dans des applications et des technologies utilisées parfois au quotidien.
L’évolution de la perception des seniors vis-à-vis du numérique
Comment la curiosité accrue des seniors sur le numérique par rapport aux digital natives pourrait-elle être un avantage dans leur interaction avec l'IA, et quels sont les efforts nécessaires pour les inclure davantage dans le développement et l'utilisation de ces technologies ?
Aurélie Jean : Nous avons un biais qui nous laisse croire que les digital natives comprennent tout à la technologie. Mais de mon expérience, même s’ils sont en effet à l’aise avec n’importe quelle application, ils ne se posent pas les questions pertinentes que les plus âgés, et en particulier les séniors, se posent alors même s’ils sont moins à l’aise dans l’usage.
Les seniors ont un sens critique dont les jeunes pourraient beaucoup apprendre, en retour les plus jeunes pourraient enseigner aux plus âgés comment utiliser ces technologies. C’est une certitude, les plus jeunes ont énormément à apprendre des séniors, et vice-versa.
C’est pour cela qu’inclure toutes les parties prenantes dès les premières phases de conception est un différentiateur puissant pour construire des technologies inclusives… comme je le dis souvent nous devons construire des technologies pour tous par tous.
Conclusion
En conclusion, ce dossier sur l'IA dans la Silver économie a mis en lumière l'immense potentiel de l'intelligence artificielle comme catalyseur de changement et d'innovation. L'IA, en se démocratisant, s'infiltre dans divers secteurs, mais c'est peut-être dans la Silver économie qu'elle trouve son écho le plus significatif.
Cette branche, au cœur de la transition démographique, se révèle être un champ fertile pour l'IA, capable de répondre aux besoins spécifiques d'une population vieillissante par des solutions de santé personnalisées, de la détection précoce des pathologies à l'assistance au quotidien.
L'avenir nous interpelle : la transition démographique ne doit pas être la transition oubliée par l'IA. Notre dossier a illustré comment, en intégrant des solutions telles que la détection de fragilités ou des recommandations de mesures préventives, l'IA peut accompagner les seniors, sans pour autant remplacer l'élément humain essentiel.
C'est dans cette synergie entre innovation technologique et respect de l'individualité que la silver économie pourra le mieux prospérer, assurant ainsi que la promesse d'un avenir radieux inclut chaque génération.
La route est tracée, les fondations posées; désormais, c'est à nous de continuer à construire, à innover avec conscience, et à veiller à ce que l'IA serve le bien commun et respecte ceux qui ont pavé les voies de notre futur.