La carte et le territoire
Conception de notre livre blanc 2023 | Panel | Méthodologie | Focus sur les business models | Interview de Romain Ganneau (AG2R)
"C'est sur la carte que se dessine le territoire." - Michel Houellebecq
10 ans et de l’espoir
La Silver économie souffle ses 10 bougies en 2023 et nous pouvons être fiers du chemin parcouru. Cependant, malgré les succès remportés par différents acteurs, nous sentons que notre combat pour une longévité heureuse ne mobilise pas les pouvoirs publics, les marchés ou la société civile au niveau attendu par la gravité et l’imminence de la situation.
L’une des causes de ce problème peut être la confusion courante entre vieillesse et dépendance. Entre Silver économie et EHPAD.
C’est pour apporter des éclairages aux acteurs de l’écosystème ainsi qu’à ceux qui souhaitent s’impliquer que la filière Silver économie a proposé à Alexandre Faure de s’associer, sur la base d’un travail de cartographie lancé un an plus tôt par son entreprise, Sweet Home.
Ce travail de veille et d’analyse permet à tous les acteurs intéressés par le marché d’en percevoir les contours. D’identifier l’offre, sa corrélation avec la demande, la variété des modèles d’affaires ainsi que les opportunités business.
Une bonne base
Nous avons réalisé une recherche des organismes qui développent un produit ou service sur le marché des seniors. À l’heure où nous publions cet article, notre base de données en recense plus de 500. Nous n’avons identifié qu’une petite partie du marché et nous comptons sur les entrepreneurs et leurs équipes pour enrichir la base.
Cette base de données a servi de support à notre analyse, vous pouvez d’ores et déjà la consulter depuis la page d’accueil des Cahiers de la Silver économie (rubrique Cartographie) ou en cliquant sur ce bouton :
Parti pris
Pour réaliser une étude cohérente, nous avons décidé de concentrer notre travail sur 300 organismes français représentatifs. Présentes sur tout le territoire, ces entreprises et associations proposent des produits et services curatifs ou préventifs aux seniors ou à leurs aidants, en B2C ou B2B2C.
Un travail complexe
L'analyse de l’écosystème présente plusieurs difficultés.
La diversité des acteurs sur le marché rend ce travail complexe. En effet, il existe plusieurs modèles économiques dans la Silver économie, chaque acteur ayant sa propre stratégie commerciale et son positionnement sur le marché.
Les modèles économiques et les services proposés par les organismes étudiés sont très disparates, ce qui peut rendre difficile la comparaison entre eux.
Enfin, l'intégration de la santé, de la recherche sur la longévité, le traitement génétique des maladies et les techniques de prolongement de la vie soulève des questions éthiques et peut impacter les modèles économiques.
Les acteurs de la Silver économie doivent donc être en mesure de s'adapter rapidement à ces changements pour continuer à proposer des services innovants et adaptés aux besoins de leurs clients.
Mode opératoire
Nous avons analysé les 300 organismes retenus selon 9 critères objectifs :
Le modèle d’affaires,
Les typologies de clients,
La distribution,
L'année de lancement,
La taille,
Le marché géographique,
Les labels et certifications,
Les services rendus,
Le segment du marché.
Cette analyse permet de dresser un état des lieux actuel du marché de la Silver économie, mais montre également les limites d'un tel exercice.
Limites
La diversité des acteurs et modèles économiques dans ce domaine rend difficile la comparaison directe. Chaque entreprise ou organisme a sa propre stratégie commerciale et son positionnement sur le marché, ce qui peut rendre les données chiffrées moins représentatives de la réalité.
De plus, l'analyse quantitative ne permet pas toujours de saisir la complexité des enjeux liés à la Silver économie. Par exemple, les questions éthiques entourant la santé, la recherche sur la longévité et les techniques de prolongement de la vie ne peuvent être pleinement appréhendées uniquement à partir de données chiffrées. Ces éléments nécessitent souvent une analyse qualitative plus approfondie et une prise en compte des spécificités de chaque acteur.
Enfin, une analyse basée uniquement sur des critères chiffrés peut ne pas refléter les évolutions rapides de ce secteur en constante évolution. Les nouvelles technologies, les changements démographiques et les attentes des consommateurs évoluent rapidement, ce qui rend nécessaire une approche plus holistique et flexible pour comprendre pleinement la complexité de la Silver économie.
Il est donc important de prendre en compte ces limites lors de l'interprétation des résultats d'une analyse basée sur des critères chiffrés et de compléter cette approche par d'autres méthodes d'analyse plus qualitatives et contextuelles.
Un comité d’experts essentiel
Conscients des limites de l’exercice, nous avons constitué un comité d’experts qui nous a aidés à appréhender l’écosystème, apportant un regard éclairé et complémentaire à notre travail sur les données.
Ces experts possèdent des compétences variées et une expertise approfondie dans différents domaines liés à la Silver économie. Leur contribution a été essentielle pour comprendre les enjeux complexes de ce secteur en constante évolution, ainsi que pour apporter des réponses pertinentes aux questions laissées en suspens par notre cartographie.
Grâce à leur expertise, nous avons pu bénéficier d'une vision plus contextuelle, complétant ainsi notre approche basée sur les critères chiffrés. Le comité d’experts a été un atout majeur pour mener cette étude et vous offrir un outil pratique et précieux pour soutenir vos travaux.
Les experts du comité
André Augst (Centre de ressources, d’information et de conseil en aides techniques et accessibilité - CEP-CICAT)
Marc Bourquin (Fédération hospitalière de France - FHF)
Laure de la Bretêche et Loïc Rolland (Groupe Caisse des dépôts)
Véronique Chirié (TASDA)
Pierre Fugit et Paul Durand (Silver Occ - cluster région Occitanie)
Frédérique Garlaud et Laurent Tarrieu (CNAV)
Romain Ganneau (AG2R La Mondiale)
Olivier Guérin (Société française de gériatrie et de gérontologie - SFGG)
Nicolas Hurtiger (Synerpa Domicile)
Benjamin Leroux (CNSA)
Laëtitia Monrond (SNCF)
Marie Morvan (Intercommunalités de France - association d’élus)
Alexandre Petit (Union des gérontopôles)
Illustration : analyse des modèles d’affaires
Illustrons notre démarche en nous penchant sur l'un des axes d'analyse : le modèle d'affaires. Nous avons étudié attentivement les différents modèles économiques utilisés par les organismes de la Silver économie. Cette analyse nous a permis de mettre en évidence les tendances et les préférences dans ce domaine en pleine expansion.
Nous avons identifié cinq principaux modèles économiques utilisés par les organismes étudiés : l'abonnement, la commission, le modèle basé sur le loyer, le modèle "on demand" et la marketplace.
Abonnement
L'abonnement est le modèle le plus couramment utilisé, représentant 36% des organismes étudiés. Ce modèle économique permet aux clients de payer régulièrement une somme d'argent pour accéder à un service sur une période donnée. Il offre aux entreprises une stabilité financière et favorise la fidélisation des clients.
Commission
La commission, quant à elle, représente seulement 5% des organismes étudiés. Ce modèle consiste à percevoir une somme d'argent en échange d'un service rendu ou pour avoir facilité une transaction entre deux parties. Il est utilisé principalement par les courtiers en assurances et les acteurs financiers de la Silver économie.
Loyer
Le modèle basé sur le loyer est utilisé par 23% des organismes étudiés. Il consiste à facturer un loyer pour la mise à disposition d'un bien pendant une période donnée. Ce modèle est couramment utilisé pour la location de matériel médical, de logements adaptés aux seniors ou encore de robots de compagnie.
On demand
Le modèle "on demand" occupe la deuxième position avec 30% des organismes étudiés. Ce modèle économique consiste à fournir un service à la demande des clients, plutôt que de leur facturer des frais réguliers pour y accéder. Il est utilisé par les organismes proposant du care management, des voyages organisés, des produits consommables ou des produits technologiques.
Marketplace
Le modèle d'affaires de la marketplace consiste à connecter les acheteurs et les vendeurs sur une plateforme en ligne. Les vendeurs proposent leurs produits ou services à la vente et les acheteurs peuvent les acheter directement. La plateforme perçoit une commission sur chaque transaction effectuée. Ce modèle d'affaires est largement utilisé dans l'industrie du vieillissement pour des services tels que la mise en relation de personnes âgées avec des professionnels de soins à domicile, la vente de produits adaptés aux personnes âgées et la réservation de services de transport adapté.
Nos constats sur les modèles d’affaires
Chaque modèle d'affaires présente ses propres avantages et défis.
Les abonnements offrent une stabilité financière mais nécessitent de fournir un service attractif et de qualité pour fidéliser les clients.
Les commissions facilitent les transactions mais peuvent être moins adaptées à certains types d'organisations.
Les modèles basés sur le loyer offrent une flexibilité financière mais nécessitent une gestion efficace des biens mis à disposition.
Enfin, les modèles "on demand" répondent aux besoins immédiats des clients mais doivent être en mesure de fournir des services de qualité à la demande.
En analysant les modèles d'affaires dans la Silver économie, nous pouvons mieux comprendre les stratégies commerciales des organismes et les tendances du marché. Cette analyse constitue une base solide pour appréhender la diversité et la complexité de ce secteur en pleine expansion.
Analyse des données
Les entreprises qui établissent une relation durable avec leurs clients en offrant un service répétable, avec ou sans immobilisation matérielle (loyer ou abonnement), sont majoritaires dans la Silver économie. Sur l'ensemble du panel, 175 entreprises, soit 59%, utilisent ce type de relation commerciale avec leur clientèle.
Les abonnements offrent un avantage financier pour les entreprises, car ils garantissent un flux de revenus plus stable que d'autres modèles économiques. Cela leur permet de mieux planifier leur stratégie commerciale et de prendre des décisions plus éclairées en matière de croissance et de développement. De plus, les abonnements peuvent contribuer à fidéliser la clientèle, car les clients qui s'abonnent à un service sont souvent plus engagés et plus enclins à rester fidèles à la marque sur le long terme.
Cependant, pour en bénéficier pleinement, les entreprises doivent s'assurer que leur service répond aux besoins de leurs clients et qu'elles sont en mesure de fournir une qualité de service supérieure pour justifier l'engagement à long terme de leurs clients.
Le fait que l'engagement soit sur le long terme explique pourquoi les clients sont réticents à s'engager financièrement s'ils ne sont pas sûrs d'utiliser régulièrement le service. De plus, les clients peuvent hésiter à s'abonner si le service ne correspond pas à leurs besoins ou s'ils sont insatisfaits de sa qualité. Cette insatisfaction peut entraîner une augmentation du taux de résiliation et une diminution de la satisfaction des clients. Par conséquent, les entreprises qui proposent des abonnements doivent s'assurer que leur service est suffisamment attrayant et de qualité supérieure pour justifier l'engagement à long terme de leurs clients.
Limites de l’analyse chiffrée
L'analyse objective de la cartographie présente certaines limites. Tout d'abord, le rôle des institutions qui financent ces projets n'est pas apparent dans les données chiffrées. Il est important de comprendre l'impact et l'influence de ces institutions dans l'écosystème de la Silver économie.
De plus, les liens partenariaux, qui jouent un rôle déterminant dans cet écosystème, ne sont pas visibles dans l'analyse quantitative. Ces partenariats peuvent contribuer à renforcer les offres des organismes et favoriser la collaboration entre acteurs clés.
Le recours aux aides publiques, qui peut jouer un rôle important dans le développement des organismes de la Silver économie, n'est également pas visible dans l'analyse chiffrée. Il est essentiel de comprendre comment ces aides peuvent soutenir les initiatives et favoriser l'innovation dans le secteur.
Enfin, les modèles mixtes tels que B2C, B2B2C, ainsi que les stratégies à plusieurs cibles, ne peuvent pas ressortir clairement dans l'analyse objective de la cartographie. Ces modèles et stratégies sont souvent utilisés dans la Silver économie pour répondre aux besoins diversifiés des clients et maximiser les opportunités commerciales.
Pour répondre à ces limites, il est nécessaire de faire appel à des experts de terrain. Ces experts possèdent une connaissance approfondie de l'écosystème de la Silver économie et peuvent apporter des réponses précieuses aux questions laissées en suspens par l'analyse objective. Leur expérience et leurs connaissances permettent de contextualiser les données chiffrées, de comprendre les spécificités de chaque acteur et de saisir les enjeux complexes du secteur.
En travaillant en collaboration avec ces experts, nous avons pu compléter l'approche basée sur les critères chiffrés par une analyse qualitative et contextuelle.
La contribution de Romain Ganneau, responsable offre de services action sociale chez AG2R
« Le marché du bien vieillir repose en grande partie sur des subventions, ce qui encourage les acteurs à se focaliser sur des projets locaux. Cette préférence résulte du caractère territorial de ces acteurs. Le problème ne réside pas tant dans le marché en lui-même que dans les choix des financeurs, en particulier dans un marché subventionné avec une dimension publique et sociale prédominante. »
Depuis 2013, le marché de la Silver économie a glissé de la dépendance vers une mise en avant du vieillissement actif, avec une attention croissante portée aux aidants. Cette mue a enrichi l'éventail de produits et de services répondant aux besoins des seniors. Certains acteurs ont opté pour une démarche directe envers leurs clients, tandis que d'autres continuent à s'appuyer sur des tiers. Cependant, des zones d'ombre subsistent, en particulier en ce qui concerne le modèle économique dans le secteur des Ehpad.
Une nouvelle vague d'entrepreneurs, fusionnant les codes de l'économie sociale avec ceux des écoles de commerce, s'est élevée. Ils conçoivent des solutions tout en maîtrisant les rouages financiers. Toutefois, une compréhension approfondie du modèle économique de leur marché peut parfois faire défaut. L'appui financier d'AG2R prend la forme d'achats de prestations plutôt que de subventions, traduisant leur expertise en matière d'action sociale.
Le marché, tributaire de subventions, encourage une focalisation sur des initiatives locales. Cette inclinaison découle du caractère territorial des acteurs et des préférences des financeurs. Cependant, le succès à long terme requiert une communication efficace avec les clients, parallèlement à un ajustement du coût d'acquisition client. Si certains entrepreneurs appréhendent cette question, des confusions persistent entre les coûts d'acquisition des clients et des bénéficiaires, exigeant une réflexion poussée.
Pour illustrer, imaginons une entreprise ayant obtenu des fonds, mais qui, peu après sa création, recherche des subventions. Cette démarche n'est pas rare. Elle met en lumière l'importance de travailler sur le coût d'acquisition client. Dans le domaine de la Silver économie, quelques entrepreneurs appréhendent cet enjeu, bien que leur nombre reste restreint. La distinction entre les coûts d'acquisition des clients et des bénéficiaires peut avoir des répercussions significatives, selon le marché.
Par exemple, attirer un bénéficiaire peut s'avérer peu coûteux, mais le transformer en client solvable peut représenter un investissement substantiel en termes de temps et de ressources, exigeant une analyse minutieuse.
Et la filière dans tout ça ?
Si l’ensemble des éléments de cette analyse économique de l’environnement sera rassemblé dans le Livre blanc qui sortira prochainement, il s’agit d’une réflexion au long cours qui se poursuivra à travers différents livrables et newsletters.
Il s’agit également d’une réflexion plus globale, initiée lors du dernier Conseil national, concernant le rôle de la filière dans l’accompagnement de l’innovation et des acteurs économiques vers des solutions pertinentes et adaptées aux enjeux de prévention. Les 10 ans de la filière sont l’occasion de faire le bilan et de tracer des perspectives.
Retrouvez l’intégralité de notre étude dans notre prochain livre blanc
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