Admission des animaux de compagnie en EHPAD : Un tournant législatif majeur ?
Depuis 2024, la loi reconnaît le droit de disposer d’un animal de compagnie pour les résidents en Ehpad. Analyse par 3 spécialistes : anthropologue, avocate, directeur d'EHPAD.
Dans un élan de compassion et d'innovation sociale, la législation française vient de franchir un nouveau seuil avec l'adoption, dans la PPL Bien Vieillir, d’un article permettant aux résidents d'EHPAD d'être accompagnés de leurs animaux de compagnie1.
Cette mesure, vivement soutenue par Fadila Khattabi, ministre chargée des personnes âgées, marque un tournant significatif dans la conception du bien-être des seniors en France. À travers ses récentes publications sur LinkedIn, la ministre a manifesté son soutien indéfectible à cette cause, provoquant une vague de réactions aux antipodes.
D'un côté, les promoteurs de cette loi saluent une avancée majeure vers plus d'égalité et de considération pour l'impact psychologique positif que peut avoir la présence d'un animal sur les personnes âgées. Ils argumentent que la compagnie des animaux améliore la qualité de vie des résidents.
Mais cette mesure suscite des inquiétudes légitimes : comment les soignants en EHPAD vont-ils gérer cette nouvelle responsabilité ? Qu'en est-il des résidents qui, loin d'être réconfortés par la présence des animaux, pourraient se sentir gênés, voire en danger, en raison d'allergies, de peurs ou de simples désintérêts ?
Ces questions polarisantes ouvrent un débat crucial sur l'avenir de nos EHPAD et le modèle de soin que nous souhaitons promouvoir.
Pour approfondir cette réflexion, notre dossier spécial s'appuie sur l'expertise de trois spécialistes :
Delphine Dupré Lévèque, anthropologue, qui nous éclairera sur les enjeux et perspectives de cette nouvelle autorisation ;
Frédéric Sananes, directeur d'EHPAD, qui partagera son expérience pionnière dans l'implémentation de tels projets.
Maître Solenne Brugère, avocate, qui décortiquera les implications légales de cette nouvelle mesure ;
Ensemble, ils vous aideront à comprendre les défis et les promesses de cette réforme ambitieuse.
L’analyse scientifique, par Delphine Dupré Lévèque, anthropologue
À propos de notre invitée
Delphine Dupré Lévèque, docteure en anthropologie de la Santé, est la fondatrice de Stopalisolement.fr et présidente de llex Formation & Consulting. Ancienne responsable des recommandations de bonnes pratiques professionnelles au sein de la HAS pour le secteur des personnes âgées, elle est aussi auteure de "Viens chez moi, j'habite dans un EHPAD" et membre du conseil scientifique de la SFGG.
Quel est l’impact de la présence d’animaux en EHPAD, pour les propriétaires, les autres résidents et le personnel soignant ?
Toutes les études démontrent le bienfait des animaux de compagnie sur le moral, le stress, l’activité physique et la fluence verbale. L’impact est donc bénéfique pour le propriétaire d’autant plus que 68% d’entre eux considèrent leur animal comme un membre de leur famille (©Ipsos – Enquête sur la possession d'animaux de compagnie – ROYAL CANIN – Mai 2020).
La séparation est vécue comme un déchirement.
Le bénéfice est aussi pour l’Ehpad puisque sans doute, plus que tout autre élément, cette présence animale contribue à maintenir l’autonomie restante. Le bénéfice pour les professionnels est aussi immédiat. Un habitant heureux rend les professionnels heureux. L’accompagnement fait sens.
Les animaux sont aussi source de liens entre les personnes. Promener un chien créé du lien, provoque des échanges. Chats, chiens et autres animaux sont source de vie et d’échange. Tout ce qui amène de la vie, des échanges est bénéfique pour les habitants, pour les professionnels mais aussi les familles. Face à tant de bénéfices, on peut alors se demander pourquoi le sujet pose question.
Comment s’organisent les EHPAD qui accueillent des animaux ?
Le bénéfice sur la qualité de vie des habitants et des professionnels de l’accueil des animaux de compagnie est évident comme nous venons de le voir, reste à s’interroger sur les conditions de l’accueil.
L’accueil d’un animal de compagnie ne s’improvise pas. Il faut, me semble-t-il, que les conditions minimales soient remplies afin que l’animal et son maître puissent être accueillis dans un environnement favorable.
Il faut définir en toute transparence avec la personne, la famille et les équipes, le qui fait quoi, à quel moment et dans quelles conditions. L’accueil des animaux doit être préparé en amont, réfléchi en équipe mais aussi avec les résidents lors des Commissions de la Vie Sociale (CVS) notamment et lors de la rédaction du projet d’établissement.
Pour certains directeurs et équipes, l’accueil se fait presque naturellement, pour d’autres cela se fait au cas par cas et, pour d’autres enfin, l’animal est perçu comme un problème supplémentaire à gérer qu’il vaut mieux éviter.
De mes nombreux échanges avec les équipes, l’accueil d’un animal n’a pas toujours été bien vécu par les équipes. Il peut créer des tensions entre les professionnels entre ceux qui refusent de s’en occuper et ceux qui s’y investissent dès lors que le résident perd de son autonomie. Le vieillissement de l’animal (changement de caractère, visites fréquentes chez le vétérinaire..) peut aussi être particulièrement compliqué à gérer dans le quotidien de l’établissement.
Ainsi, l’organisation ne va pas de soi. Il faut la volonté des équipes et l’accord des habitants. Le directeur d’établissement, en chef d’orchestre doit prendre la mesure et trouver, comme toujours, la meilleure harmonie possible.
Comment les EHPAD peuvent-ils accueillir les animaux des résidents sans causer de problèmes pour ceux qui ne souhaitent pas vivre avec des animaux ?
La possibilité d’accueillir un animal de compagnie est très importante puisque plus de 50% des foyers accueillent au moins un animal domestique. Au-delà de 80 ans, ce n’est plus que 12% ont un chien et 14% un chat (Insee, budget des familles, 2011).
Il y a une peur et une conscience pour les personnes âgées isolées de ne pas pouvoir s’en occuper, voire de ne pas leur survivre. Il est aussi possible que certaines personnes y renoncent par peur d’avoir à s’en séparer si elles se voient « obliger » de quitter leur domicile pour vivre dans un Ehpad.
La loi changerait-elle la donne à ce niveau-là ?
C’est possible. En tout cas, à ce jour, beaucoup de personnes imaginent que vivre en Ehpad prive de nombre de libertés et notamment celle de poursuivre sa vie avec son animal de compagnie2.
Il faut encourager, communiquer, diffuser, insuffler les bonnes pratiques, plutôt que de l’imposer
Pour conclure, l’accueil d’un nouvel habitant en Ehpad accompagné de son animal de compagnie contribue du virage domiciliaire, améliore la qualité de vie des personnes et fait sens pour les professionnels si les conditions d’un accueil adapté aux besoins, aux envies et aux attentes du résident sont effectivement réunies.
Obliger dans le cadre de la loi n’est en aucun cas pertinent. Il faut encourager, soutenir cet accueil et surtout communiquer. Former avec les équipes sur le champ des possibles de la vie en Ehpad et communiquer, au niveau du territoire, au niveau des groupes, sur les libertés retrouvées.
Les expérimentations d’un directeur d’EHPAD
À propos de notre invité
Frédéric Sananes est directeur d’EHPAD, très concerné par l’impact positif des animaux pour les personnes, notamment âgées, il a déjà mené un projet d’accueil d’animaux de compagnie pour les résidents de ses établissements. Il vous explique, dans le détail comment il a mené ce projet à bien.
Pourquoi avez-vous décidé de lancer ce projet ?
Nous avons décidé de lancer un projet de présence permanente d’animaux dans les EHPAD à partir d’une réflexion commune : l’animal de compagnie apporte de la joie et du réconfort aux habitants contribuant à améliorer leur bien-être général.
En effet, nous avons pu observer au travers d’expérimentations isolées que les animaux encouragent les interactions sociales entre les habitants, le personnel et les visiteurs, et attirent les enfants.
De nombreuses études ont démontré que la présence animale peut aider à réduire le stress, l'anxiété et la dépression chez les personnes âgées et les aide à se sentir plus apaisées.
Ces études ont également révélé que la médiation animale pouvait entraîner, chez la personne âgée, une réduction de leur tension artérielle et de leur fréquence cardiaque. Les interactions avec les animaux ont permis aux participants de se sentir moins seuls et de développer des liens sociaux plus forts.
De plus, interagir avec des animaux encourage les habitants à rester actifs, à avoir un but quotidien de sortie et, surtout, de continuer à se sentir utile (fondamental pour un être humain).
L’objectif d’une direction d’établissement est d’offrir à ses habitants un lieu de vie et un surtout un lieu d’envies : les animaux aident à offrir un rythme de vie propice à l’échange et l’interaction et redonnent le sourire de manière naturelle.
Comment avez-vous procédé avec les différentes parties prenantes : quels ont été les écueils à contourner et comment avez-vous fait ?
J'ai pris le temps de consulter les différentes parties prenantes, le personnel soignant, les habitants et leurs familles, ainsi que ma hiérarchie. A grand renfort d’études scientifiques, j'ai expliqué les bienfaits des interactions (non médicamenteuses) avec les animaux et j'ai répondu à toutes leurs questions et inquiétudes.
Les principaux écueils à traiter ont été la peur des animaux, les allergies potentielles, le manque d'espace ou encore les contraintes logistiques liées à la présence d'animaux.
Pour surmonter ces obstacles, j'ai proposé des solutions adaptées à chaque situation, comme :
Limiter la présence des animaux à certaines zones de l'EHPAD,
Informer et former le personnel sur la manière d'interagir avec les animaux en toute sécurité,
Organiser des rencontres préalables avec les résidents pour évaluer leur réaction face aux animaux.
Nous parlons, là, d’accueil d’un ou deux animaux par établissement.
Quels sont les impondérables qui ne peuvent être résolus, les renoncements que vous devez opérer car ce n’est pas possible dans un EHPAD ?
L'introduction d'animaux dans les murs mêmes des EHPAD présente des défis et contraintes qui rendent cette solution parfois impossible. Il y a cinq raisons principales à ces renoncements.
D’abord, certaines personnes âgées peuvent être allergiques aux poils d'animaux, ce qui peut entraîner des réactions potentiellement graves. La présence d'animaux peut aussi augmenter le risque de chutes ou de blessures pour les résidents fragiles.
Aussi les animaux peuvent être porteurs de maladies ou de parasites, ce qui peut poser des risques. Par ailleurs, certaines personnes âgées et aussi le personnel de nos établissements peuvent ne pas apprécier la présence d'animaux ou être intimidées par eux, sans compter la perception voir l’incompréhension de certaines familles s’inquiétant de ce que le personnel soignant s’occupe des animaux au lieu de s’occuper des résidents !
Enfin, pragmatisme oblige, l’introduction d'animaux dans un EHPAD nécessite des ressources financières et logistiques ad hoc, ce qui crée encore des contraintes supplémentaires aux établissements…
Une loi ou une réglementation pourrait-elle rendre ces projets plus simples (est-ce que le problème se situe à ce niveau) ?
La modification envisagée par la loi "Bien vieillir", qui rendrait obligatoire pour les EHPAD d'accueillir les animaux des résidents, est une évolution positive. C'est une question d'humanité.
Cet article devrait amener à faire évoluer les consciences de toutes les parties prenantes sur le respect de la continuité de vie des résidents. Je rappelle que, sur le plan juridique, les résidents habitent dans leur logement lorsqu'ils vivent en EHPAD...
Aujourd’hui l’accueil et l'hébergement des animaux des résidents en EHPAD sont effectués dans les murs de l'établissement et de manière non encadrée. Cela pose des problèmes aux personnels, déjà beaucoup sollicités, et aussi aux animaux. Les besoins de ces derniers, dans de nombreux cas, ne sont pas assez pris en considération dans les relations que les humains leur imposent. À l’heure actuelle, l'accueil des animaux des résidents des EHPAD est très peu proposé, voire pas du tout proposé. Cela n'ayant pas été pensé en amont lors de la conception et l'organisation d'un EHPAD.
Ce qui amène à réfléchir à une autre approche pour l'Ehpad du futur.
Peut-être est-il temps de mettre en œuvre des solutions innovantes et économiquement viables qui permettraient aux EHPAD d'accueillir les animaux des résidents en toute sécurité pour les humains et les animaux.
L’avis juridique de l’avocate, entretien avec Maître Solenne Brugère
À propos de notre invitée
Solenne Brugère combine expertise juridique et engagement social en tant qu'avocate et membre active du Syndicat National pour la Silver Economie (Synapse), où elle joue un rôle d'administratrice. Sa passion pour la solidarité intergénérationnelle l'a également conduite à co-fonder deux initiatives notables : le concours national de poésie initié par Stop à l’isolement et le jeu "2 minutes de bonheur ensemble !". Ces projets, axés sur la création de liens entre générations, visent à stimuler et améliorer la qualité de vie des personnes âgées ainsi que celles en situation de handicap, illustrant parfaitement son engagement pour une société plus inclusive.
Quelles sont les conséquences juridiques et éthiques de cette loi, en termes de droits et devoirs nouveaux ?
L’apport de cet article de loi réside dans la transformation annoncée d'une simple possibilité, soumise à aléa selon les établissements, en un nouveau droit pour les personnes âgées résidant en EHPAD, leur permettant d'accueillir leur animal de compagnie.
Cette évolution était très attendue afin de mettre un terme aux disparités d’accueil selon les établissements, certains les acceptant, d’autre non, ainsi qu’aux abandons forcés des animaux de compagnie au moment où les personnes ont sans doute le plus besoin de leur présence réconfortante, affectueuse et stimulante.
Ce nouveau droit illustre ainsi le vœu unanime d’une évolution vers la promotion d'un cadre de vie respectueux et bienveillant, intégrant la bientraitance et la valorisation du bien-être des résidentes et résidents. En écho aux autres droits tels que le droit de visite également consacré, cette mesure renforce le concept de continuité de la vie dans un environnement aimant et familier, pour que la personne se sente le mieux possible.
La souffrance de devoir se séparer de son animal de compagnie, imposée à l’entrée par certains établissements, pour de multiples raisons, souvent liées au manque de moyens, n’est en effet pas très alignée avec l’objectif d’un accompagnement attentif au bien-être et à la qualité de la fin de vie.
Sur le principe, ce vote marque donc une avancée significative au regard de la reconnaissance des besoins et des désirs des personnes âgées qui ont été entendues Il démontre la volonté du gouvernement et des parlementaires d'améliorer la qualité de vie en EHPAD et d’œuvrer pour leur offrir les meilleures conditions de vie possibles, le plus longtemps possible. Chaque action compte.
Qui dit droit dit opposabilité
Cela signifie que les établissements doivent désormais activement prendre les mesures nécessaires pour faciliter cet accueil, selon les modalités qui seront détaillées ultérieurement. Mais ce droit n’est pas absolu.
Le décryptage du texte soulève des questions pratiques et des incertitudes, notamment sur l’effectivité de ce droit et la capacité des établissements à répondre aux demandes qui seront présentées.
Il appelle ainsi plusieurs observations.
L’article 6° du I de l’article L. 312-1 du CASF cité, vise les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l'insertion sociale.
Le périmètre du texte ne visant que les établissements et non les services, cela évacue la question de l’accompagnement par des services à domicile de personnes qui ont des animaux.
Or, en pratique cela pose souvent des difficultés et des dilemmes aux auxiliaires de vie notamment, qui ont envie de s’occuper des animaux, qui aimeraient pouvoir le faire, qui le font parfois, par solidarité, parce qu’elles savent la nécessité d'intégrer le soin des animaux dans le cadre des services de soutien aux personnes âgées, afin de leur permettre de conserver ce facteur essentiel de bien-être aussi longtemps que possible. Elles le font hors cadre, sur un temps déjà limité. Ce point mériterait d’être traité ultérieurement surtout que le souhait numéro un des personnes est de vivre à domicile.
Il est intéressant ensuite de noter que le droit d’accueillir les animaux de compagnie des résidentes et résidents, qui, selon le texte, doit être garanti par les établissements, a bien été intégré dans la section consacrée aux Droits des usagers (L311-3 à L311-12 du Code de l'action sociale et des familles), ce qui est logique et cohérent.
J’observe toutefois que celui-ci n’a pas été inséré dans l’article L311-3 du CASF, lequel énumère en 7 alinéas une liste de droits et libertés individuelles dont l'exercice est garanti ou assuré à toute personne prise en charge par des ESMS, dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur3.
Afin de garantir leur exercice effectif et notamment de prévenir tout risque de maltraitance, il doit être remis à la personne, à son représentant légal un livret d'accueil auquel est annexée une charte des droits et libertés de la personne accueillie, et règlement de fonctionnement (L311-4 du CASF). Cette charte prévoit que nul ne peut faire l’objet d’une discrimination notamment à raison de son handicap, de son âge (article1), le droit à une prise en charge ou un accompagnement individualisé et le plus adapté possible à ses besoins (article 2) etc.
Ce nouveau droit n’a donc pas été ajouté à cette liste, mais il a été annexé à l’article L311-9, qui vise quant à lui à assurer le respect du droit à une vie familiale des membres des familles accueillies dans les établissements ou services de protection et d’aide sociale à l'enfance, aux personnes, familles en difficulté ou en situation de détresse ainsi que dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile.
Ce dernier précise d’ailleurs qu’une solution visant à éviter la séparation de ces personnes doit être recherchée ou, si une telle solution ne peut être trouvée, établir, de concert avec les personnes accueillies, un projet propre à permettre leur réunion dans les plus brefs délais, et assurer le suivi de ce projet jusqu'à ce qu'il aboutisse.
Cela donne à mon sens quelques indications sur ce que devront faire les EHPAD si l’accueil de l’animal n’est pas possible ou autorisé : trouver au cas par cas la meilleure solution possible, en concertation.
Pouvez-vous détailler les conditions qui doivent être remplies pour garantir ce droit ?
Ce droit est effectivement garanti, mais sous une quadruple réserve assortie de plusieurs conditions cumulatives qui doivent ainsi être remplies pour que ce droit puisse véritablement être effectif :
#1 Le rôle du CVS
Le CVS, qui a le pouvoir de donner son avis et de faire des propositions sur toute question intéressant le fonctionnement de l’établissement notamment sur les droits et libertés des personnes accompagnées ou sur l’organisation intérieure et la vie quotidienne, doit donner son feu vert, ce qui suppose de le consulter au préalable.
#2 Le rôle du résident qui possède l’animal
Le résident ou la résidente doit avoir la capacité de nourrir, faire boire, promener son animal pour ses besoins quotidiens et les balades récréatives, changer la litière, laver, soigner… Ce qui suppose des capacités motrices, cognitives et financières suffisantes.
Or, en EHPAD, par principe, les personnes présentent souvent une perte d’autonomie et souffrent d’un cumul de pathologies évolutives qui peuvent altérer partiellement, voire totalement leur faculté à se baisser, porter, ramasser, nettoyer, sortir, allez chez le vétérinaire. De nombreuses réserves ont été exprimées à ce sujet, qui se comprennent parfaitement.
Il paraît toutefois difficile de réserver ce droit aux seules personnes en pleine capacité et de le refuser à celles qui, nombreuses en EHPAD, se retrouvent limitées dans leur mobilité ou aptitudes du fait de diverses pathologies liées à la sénescence, un accident, des maladies, des douleurs, des médicaments...
Non seulement cela n’apporterait aucune amélioration à la situation actuelle, cette réserve étant déjà un frein majeur à l’accueil des animaux, même si encore une fois elle se comprend très bien, mais surtout cela pourrait s’apparenter à une discrimination liée à l’âge, la maladie ou le handicap actée officiellement4.
#3 Les précisions de l’arrêté d’application
Il est prévu qu’un arrêté de la ministre chargé des personnes âgées précise les conditions d’hygiène et de sécurité à respecter. C’est effectivement très important notamment au regard de l’articulation avec les droits du personnel pour protéger leur santé.
Nous en revenons au critère précédent. Faute de pouvoir se baisser par exemple, les personnes peuvent ne plus pouvoir s’occuper de l’hygiène de leur animal, ou ayant perdu des forces, il leur devient impossible de porter des paquets de croquettes et de les verser dans la gamelle.
Cela doit évidemment être pris en considération mais au lieu que cela ne les prive par principe de leur animal de compagnie, mieux vaudrait proposer une liste de solutions possibles dans ces hypothèses, et des aides, pour ne pas pénaliser les personnes.
La Défenseuse des Droits a rappelé l’attention à avoir pour éviter des traitements différenciés selon l’âge ou l’état de santé des personnes âgées.
#4 Les catégories d’animaux admis
L’arrêté précisera également les catégories d’animaux qui pourront être accueillies, lesquelles pourront prévoir des limitations de taille pour chacune de ces catégories.
Sur les catégories, le texte vise de manière générale les animaux de compagnie et non les animaux domestiques, expression qui a pu être employée dans le cadre des débats et la presse.
Beaucoup de critères doivent être réunis pour ce que droit soit garanti, une disparité de traitement risque de perdurer selon les établissements, sous réserve des précisions qui seront apportées par les textes d’application.
La nouvelle mesure législative visant à permettre aux résidents d'EHPAD de vivre avec leurs animaux de compagnie est-elle un droit fondamental spécifiquement attaché à l'individu, reconnaissant ainsi les besoins uniques liés à l'âge ou à la dépendance, ou s'agit-elle d'une clarification des droits déjà existants dans le cadre des établissements de soin ?
Maître Solenne Brugère : L’objectif n'est pas de créer un statut juridique inédit pour les personnes âgées mais de souligner l'importance de droits fondamentaux préexistants qui n'étaient pas pleinement effectifs.
La législation actuelle cible avant tout les établissements, toutefois, elle transcende ce cadre pour toucher des situations plus larges, comme celle des jeunes en foyer, illustrant la nécessité d'un droit attaché à la personne, qui dépasse les frontières des structures d'accueil spécifiques. En effet, des droits comme celui au choix du lieu de vie, impliquant le maintien d'une vie sociale enrichie par la présence d'animaux de compagnie, bien que reconnus, souffraient jusqu'alors d'une application inégale en raison d'obstacles pratiques.
Cette législation apporte une clarification bienvenue, rappelant le droit à une vie privée respectée et adaptant ce principe aux réalités des EHPAD comme véritables lieux de vie. Ainsi, elle ne représente pas tant l'établissement d'un nouveau droit que la précision et l'affirmation de droits existants, dont l'application était entravée par des contraintes réglementaires ou des interprétations restrictives, en particulier lors de restrictions sanitaires.
L'objectif est de garantir que les résidents puissent continuer à vivre dans un cadre familier et réconfortant, avec leurs animaux de compagnie, sans que les obstacles administratifs ou structurels ne s'opposent à cette cohabitation essentielle à leur bien-être.
Conclusion
L'adoption de l’article L.11 bis E - II de la PPL Bien Vieillir incarne sans doute une avancée significative dans la manière dont notre société envisage le bien-être et la qualité de vie des personnes âgées résidant en EHPAD.
En reconnaissant le droit pour ces résidents d'être accompagnés de leurs animaux de compagnie, le législateur ouvre une nouvelle voie vers une approche plus humaine et inclusive du vieillissement. Toutefois, l'application pratique de cette mesure reste à éprouver sur le terrain. Les hypothèses optimistes des parlementaires et des parties prenantes devront être validées par l'expérience, dans le contexte complexe et souvent critique des établissements d'accueil pour personnes âgées.
La question se pose de savoir si une telle avancée est réaliste face aux défis auxquels sont confrontés les EHPAD, notamment en termes de recrutement de personnel et face au vieillissement croissant de leur population, dont le niveau d'autonomie est fréquemment très dégradé. Ces conditions posent un cadre d'application difficile pour la nouvelle loi, qui requiert non seulement des adaptations structurelles mais aussi une réflexion profonde sur l'accompagnement et le soin des résidents.
Par ailleurs, cette loi pourrait-elle stimuler l'émergence de projets innovants et de solutions pratiques permettant aux EHPAD de s'adapter sans se désorganiser ? Il est permis de s'interroger sur les capacités d'innovation et de résilience des structures d'accueil, confrontées à la nécessité de se réinventer pour intégrer cette nouvelle dimension dans leur offre de soin. La mise en œuvre de cette loi pourrait ainsi devenir un catalyseur pour le développement de pratiques et d'infrastructures novatrices, favorisant une prise en charge globale et respectueuse des besoins individuels des personnes âgées.
En définitive, si ce nouveau droit marque une étape importante vers une société plus attentive aux besoins de ses aînés, son succès dépendra de sa capacité à s'incarner dans des actions concrètes et adaptées à la réalité du terrain. C'est dans cette perspective que l'expérimentation et l'innovation devront jouer un rôle clé, en permettant de concilier aspiration à un mieux-être et contraintes du quotidien en EHPAD.
L’Assemblée nationale vient d’adopter, le 19 mars 2024, la proposition de loi « portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l’autonomie » (texte n°265), qui intègre dans son Titre III « GARANTIR À CHACUN DES CONDITIONS D’HABITAT AINSI QUE DES PRESTATIONS DE QUALITÉ ET ACCESSIBLES, GRÂCE À DES PROFESSIONNELS ACCOMPAGNÉS ET SOUTENUS DANS LEURS PRATIQUES » l’article suivant :
Article 11 bis E - II (nouveau). – Après l’article L. 311-9 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 311-9-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 311-9-1. – Sauf avis contraire du conseil de la vie sociale mentionné à l’article L. 311-6, les établissements mentionnés au 6° du I de l’article L. 312-1 garantissent aux résidents le droit d’accueillir leurs animaux de compagnie, sous réserve de leur capacité à assurer les besoins physiologiques, comportementaux et médicaux de ces animaux et de respecter les conditions d’hygiène et de sécurité définies par arrêté du ministre chargé des personnes âgées. Ce même arrêté détermine les catégories d’animaux qui peuvent être accueillis et peut prévoir des limitations de taille pour chacune de ces catégories. »
Que disent les recommandations de bonnes pratiques sur ce sujet ? Il est écrit dans « Qualité de vie en Ehpad, Le cadre de vie et la vie quotidienne », Volet 2 qui date de 2011 !
Les essentiels :
Respecter les habitudes de vie personnelles
Prendre en compte les habitudes de vie dans le cadre du projet personnalisé.
Organiser les aides pour les actes de la vie quotidienne en tenant compte des habitudes antérieures.
Faire émerger les attentes en matière d’activités personnelles, de gestion et usage d’objets de valeur, d’animaux de compagnie et mettre à disposition les moyens de leur réalisation. (p.26)
Ces droits dits « fondamentaux » en EHPAD sont notamment : Le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité, de sa sécurité et de son droit à aller et venir librement (1), le libre choix entre les prestations adaptées (2), une prise en charge et un accompagnement individualisé de qualité favorisant son développement, son autonomie adaptée à son âge et à ses besoins, respectant son consentement éclairé (3) ou encore la participation directe de la personne prise en charge à la conception et à la mise en œuvre du projet d'accueil et d'accompagnement qui la concerne (7).
Rappelons que selon l’article L 225-1 du Code pénal « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de […] leur situation de famille, […], de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique […] de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d'autonomie, de leur handicap, […] de leur âge ».
Merci pour ce dossier 😊