Le « vieillissement en santé » et la détection des pré-fragilités chez les 55-75 ans
Les Cahiers de la Silver économie #15
Lors de sa récente visite à Lille le 23 juin 2023, la ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des Professions de santé Agnès Firmin Le Bodo a souligné l'importance de faire face au défi social, sociétal et sanitaire de la transition démographique. Cette transition nécessite une anticipation de l'accompagnement des personnes, afin qu'elles adoptent des comportements et des routines préventives pour faire face aux problématiques de santé liées à l'avancée en âge.
Alors que notre pays se prépare à accueillir plus de 20 millions de personnes de plus de 60 ans, il est devenu impératif d'agir dès à présent pour soutenir les “jeunes seniors" dans leur parcours de vie. La question essentielle qui se pose est la suivante : comment pouvons-nous identifier et inverser les pré-fragilités parmi les 55-75 ans, en garantissant ainsi leur qualité de vie et en préservant leur autonomie dans l’avancée en âge ?
Dans cette nouvelle édition des Cahiers de la Silver Économie, nous aborderons en premier lieu le concept de pré-fragilité et ses conséquences, afin de mieux comprendre les enjeux de la prévention chez les 55-75 ans. Pour éclairer cette question, nous avons eu l'opportunité de recueillir le témoignage du professeur Olivier Guérin, un expert dans le domaine, qui nous expliquera pourquoi il est essentiel d'accompagner au mieux cette population pour préserver leur autonomie le plus longtemps possible.
Enfin, nous conclurons notre exploration en mettant en lumière deux programmes de détection précoce, Tempoforme® et ALISA, qui semblent produire des résultats prometteurs.
Comprendre les pré-fragilités et leur impact sur le vieillissement
Comment définir les pré-fragilités ?
La pré-fragilité, telle que définie par Éric Boulanger, professeur de Gériatrie et de Biologie du Vieillissement à l'École Supérieure de la Santé et du Sport de l'Université de Lille, correspond à « une diminution des capacités physiologiques de réserve qui altère les mécanismes d'adaptation au stress ». C’est un syndrome clinique qui se situe entre la robustesse (capacité de vivre en autonomie) et la dépendance (état irréversible). Elle peut se manifester par une perte de poids involontaire, une fonte de la masse musculaire, de la fatigue, une lenteur de la marche et une grande sédentarité. Contrairement à une idée reçue, la pré-fragilité n'est pas exclusivement liée à l'âge, mais peut toucher toute personne et peut être provoquée ou accélérée par des maladies ou des traumatismes. Environ 30% des personnes de plus de 45 ans vivant à domicile sont pré-fragiles, tandis que 10% sont fragiles.
En 2022, le professeur Éric Boulanger et son équipe à l’origine du programme Tempoforme®, ont identifié plusieurs domaines de pré-fragilité, à savoir : physique (force musculaire, capital musculaire, équilibre et solidité osseuse), cognitif (mémoire et orientation), neurosensoriel (ouïe, vue, goût et odorat), thymique (sommeil et moral), nutritionnel (alimentation), cardiométabolique (facteurs de risques cardiovasculaires), respiratoire (capacité pulmonaire et puissance du souffle), social (isolement social et vie en solitaire) et numérique (accès aux outils tels que l'ordinateur, Internet ou le téléphone).
Quelles conséquences sur la santé et la qualité de vie des seniors ?
Les personnes en situation de pré-fragilité sont exposées au risque de dépendance et peuvent présenter :
des troubles de la mobilité (les chutes, leurs répétitions et leurs conséquences fracturaires),
une déficience physique (notamment au niveau de l’alimentation),
des troubles sensoriels (vue, ouïe, odorat…),
des troubles cognitifs (perte de mémoire ou d’orientation, difficultés d’orientation ou de concentration).
Ces conséquences peuvent entraîner une augmentation de la consommation de médicaments, une demande croissante de soins, des hospitalisations répétées, et finalement conduire à la dépendance et à l'institutionnalisation.
Des études ont démontré la progression de l'état de pré-fragilité vers la fragilité, la dépendance et le décès. De même, la sarcopénie, qui est la perte involontaire de masse musculaire liée à l'âge, affecte environ 30% des personnes âgées de plus de 65 ans et ce chiffre pourrait atteindre 50% chez les personnes de plus de 80 ans. La sarcopénie peut être considérablement accélérée par des facteurs tels que le confinement prolongé au lit, le manque de mobilité ou la dénutrition. Or, contrairement à la dépendance, la pré-fragilité et la sarcopénie sont potentiellement réversibles. Il est donc essentiel de détecter précocement l'état de fragilité et d'intervenir pour prévenir la dépendance fonctionnelle. La réversibilité de la pré-fragilité offre des opportunités d'amélioration de la santé et de la qualité de vie des seniors.
Les enjeux de la prévention des pré-fragilités chez les 55-75 ans
Préserver l'autonomie : l’objectif majeur à atteindre
La prévention des pré-fragilités revêt une importance cruciale tant sur le plan de la santé publique que sur le plan économique. Les projections démographiques indiquent une augmentation significative de la population des personnes âgées de 65 ans et plus en France et en Europe, en raison de l'augmentation de l'espérance de vie et de l'effet des baby-boomers. Cependant, des études révèlent une augmentation des incapacités sévères chez les personnes âgées de 50 à 64 ans, ce qui marque un changement dans les tendances de l'espérance de vie en bonne santé.
Avec le vieillissement de la population, il est impératif de préserver l'autonomie des personnes âgées afin de garantir la viabilité du système de protection sociale. Par conséquent, une politique de prévention efficace est essentielle pour inverser les tendances actuelles.
Améliorer la qualité de vie : des actions bénéfiques pour les seniors
La connaissance du processus de perte d'autonomie permet de détecter précocement les personnes à risque de dépendance et de prendre en compte de nouveaux facteurs de risque. En adoptant une approche par la fragilité, il est possible d'investir de manière préventive dans la santé des seniors et d'élargir l'action au-delà du système de soins en analysant les déterminants socio-économiques. La prévention des pré-fragilités contribue ainsi à améliorer la qualité de vie des seniors.
Réduire les coûts de la santé et de la dépendance : des avantages pour tous
L'augmentation de l'espérance de vie sans incapacité constitue un véritable enjeu de santé publique. Même si, depuis les années 2000, l'espérance de vie sans incapacité s’améliore, elle a tendance à se stabiliser alors que l'espérance de vie globale continue d'augmenter. Du point de vue économique, la prévention des pré-fragilités permet de mieux allouer les ressources disponibles.
Elle contribue également à réduire les coûts liés à la dépendance : déjà en 2011, le rapport sur la prévention de la dépendance des personnes âgées remis par le sénateur de Loire-Atlantique André Trillard au président de la République Nicolas Sarkozy, soulignait un coût financier annuel de la dépendance estimé à 25 milliards d’euros insistant ainsi sur la nécessité d’agir en amont du processus de perte d’autonomie afin de favoriser une espérance de vie sans incapacité de manière optimale.
Détecter et agir précocement, c’est possible !
Le maintien de la santé est le levier le plus efficace pour préserver l'autonomie
Olivier Guérin est professeur des Universités, praticien hospitalier en gériatrie, chef du pôle Réhabilitation autonomie vieillissement au CHU de Nice, et ancien membre du conseil scientifique Covid-19. Il développe avec ses équipes la thématique numérique pour la Santé et l’Autonomie avec la création de plateformes d’évaluation et d’expérimentation dédiées à ces aspects, et regroupées au sein du Centre d’Innovation et d’Usages en Santé (CIUS). Ancien président de la Société Française de Gériatrie et Gérontologie (SFGG), le Pr Olivier Guérin est actuellement président du Conseil National Professionnel (CNP) de gériatrie.
Vous travaillez en collaboration avec les professeurs Sandrine Andrieu et Cédric Annweiler et Emmanuelle Cambois pour la filière Silver économie, dans le but de réaliser un rapport sur la prévention des seniors pré-fragiles (55-75 ans). Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez choisi cette tranche d’âge et en quoi elle correspond à une étape critique ?
Nous avons identifié cette cible sur le plan scientifique pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, nous avons constaté que cette population est mal connue sur le plan scientifique. Nous avons besoin de données couvrant les aspects bio-cliniques, psycho-sociaux et environnementaux :
En biologie, nous devons travailler sur les biomarqueurs du vieillissement pour mieux comprendre ce qui se passe au niveau de l’organisme.
Sur le plan médical, au sein de mon équipe du CHU de Nice, nous avons mis en place une approche qui prend en compte à la fois les aspects cliniques et psychologiques lors de l'évaluation des patients. Il me semble essentiel d'avoir ces deux types d'informations simultanément pour notre étude. Quand j’emploie le terme « psycho », ça englobe bien plus que la seule psychologie. Cela inclut les sciences humaines et sociales, telles que la sociologie du vieillissement, la démographie, l'anthropologie et d'autres disciplines connexes. Ces disciplines sont indispensables pour notre étude.
Le volet environnemental est également capital. À mon avis, la prise en compte de l'impact environnemental est essentielle pour assurer une prévention efficace pour l’ensemble de la population, sur les 50 à 75 prochaines années. Je veux faire le lien entre ces deux grandes transitions. C’est pourquoi nous allons considérer les effets du réchauffement climatique, des polluants, etc.
La deuxième raison pour laquelle nous accordons une attention spécifique à cette tranche d'âge est que l'étude des âges postérieurs a suffisamment avancé pour apporter des preuves scientifiques montrant que le renforcement de la stratégie de prévention de la santé est le plus bénéfique pendant cette période. Cela ne signifie pas que rien ne peut être fait avant l'âge de 55 ans, ni que les efforts doivent être abandonnés après l'âge de 75 ans. Toutefois, les interventions proposées dans le champ bio-clinico-psycho-socio-environnemental doivent être priorisées pour les 55-75 ans.
Nos travaux en cours s’appuieront sur une cohorte de 30 000 Azuréens volontaires, âgés de 55 ans et plus.
Agir auprès de cette tranche d'âge, permettrait de réduire la survenance de risques de santé postérieurs, même pour un patient qui n'a pris aucune mesure préventive auparavant ?
Oui, précisément parce que la phase préventive est également très importante. Lorsque vous vous engagez dans des processus de prévention intégrée et des parcours préventifs, le domaine de la santé est naturellement impliqué, même si la prévention ne se limite pas à la santé en tant que telle. Cela peut être complexe, mais la santé joue également un rôle crucial, notamment dans cette tranche d'âge.
Les parcours préventifs incluent également des dépistages, c'est-à-dire des diagnostics précoces. Les maladies avant 55 ans sont moins fréquentes, mais la prévention permet clairement de retarder leur apparition. En intégrant des parcours préventifs structurés, vous êtes également sous surveillance.
Le diagnostic précoce est crucial. Par exemple, les maladies cancéreuses, bien qu'elles ne soient pas les seules, marquent profondément les gens. Une détection précoce et un diagnostic rapide peuvent sauver des vies et éviter que les maladies ne progressent. De même pour les maladies chroniques telles que l'hypertension, l'hypercholestérolémie, le diabète et l'insuffisance cardiaque.
Quel est l'intérêt d'un dépistage précoce du cancer ?
La survie et la guérison sont corrélées au stade de la maladie, quel que soit le type de cancer. L'objectif est donc de diagnostiquer et de traiter le cancer le plus tôt possible afin d'optimiser les traitements et les chances de guérison. Ce qui est très important, c'est que même si vous entrez par la porte des patients atteints de cancer, vous devez bénéficier d'une stratégie de prévention globale pour votre santé. C’est évidemment valable pour toutes les autres maladies, notamment chroniques
Cependant, il ne faut pas limiter la prévention uniquement aux maladies. Même lorsque vous êtes malade, il est essentiel de continuer à adopter une approche globale de la prévention.
Souvent, la prévention est cloisonnée. On vous recommande de faire de l'exercice, de faire attention à votre alimentation, etc. Mais dès que vous êtes diagnostiqué avec un cancer, vous entrez dans un parcours de soins. Et en dehors de la prévention spécifique, dite secondaire, de votre maladie, on ne s'intéresse plus vraiment à rien d'autre.
Selon votre point de vue, la prévention implique de prendre l'habitude de consulter régulièrement des médecins pour surveiller l'état de santé et anticiper d'éventuels problèmes ?
C’est bien cela. L'intégration des acteurs du soin primaire et de la médecine générale au sein d'équipes de soins intégratives peut représenter un coût élevé, mais les avantages en sont considérables, car ces équipes se concentrent sur la prévention.
Cela encourage le développement d’une motivation personnelle et individuelle. Les citoyens en bonne santé peuvent recourir à ces équipes pour des sujets de diagnostic. Il existe une continuité entre les parcours de prévention qui vont au-delà des responsabilités des professionnels de la santé. Ces parcours impliquent également les collectivités territoriales, les acteurs associatifs et des personnes non professionnelles de la santé qui, bien qu'elles ne soient pas des experts, contribuent néanmoins à la prévention. Les professionnels de la santé jouent également un rôle crucial dans la détection des maladies.
Dans vos travaux, avez-vous identifié des corrélations entre certaines pathologies, et avez mis en évidence des actions de prévention qui auraient un effet bénéfique sur la prévention de maladies distinctes ?
Bien sûr. Si vous êtes en surveillance après une récidive du cancer, il est important de prendre soin de votre alimentation et de rester actif si vous suivez une méthode de prévention secondaire. Les personnes atteintes de maladies chroniques sont plus susceptibles de développer d'autres maladies, donc il est crucial de mettre en place une approche globale et intégrative pour prévenir les maladies. Cela fait déjà partie du parcours de soins.
Cependant, il est important de considérer l'ensemble de la situation, car ces personnes ont plus de risques de développer d'autres problèmes, comme la dépression ou des troubles cognitifs. Par exemple, si vous avez un cancer nécessitant certaines chimiothérapies, vous êtes plus susceptible de souffrir de troubles de la pensée au cours des 15 à 20 prochaines années. Cela est dû à la toxicité neurologique de ces médicaments.
Nous devons amplifier la prévention et la détection précoce de maladies, même si elles semblent n'avoir aucun lien. Nous avons beaucoup d'éléments, notamment sur le cancer et la toxicité des traitements.
Quels sont les bénéfices d'un dépistage précoce de la maladie d'Alzheimer ?
Pour l'instant, la maladie d'Alzheimer n'est pas vraiment considérée comme une maladie neurologique pouvant être traitée, mais plutôt comme une maladie de l'autonomie. Il est donc important de la diagnostiquer rapidement afin de mettre en place des stratégies de prévention secondaire. Cela permet de retarder les effets sur la perte d'autonomie. La prévention primaire est également importante afin de retarder l'apparition de la maladie. Il est à noter que la stimulation cognitive, la gestion du stress et des émotions, ainsi que d'autres aspects psycho ou neuro psycho peuvent également aider à retarder l'évolution de la maladie.
Il est important de savoir que les médicaments basés sur des anticorps semblent avoir un effet opposé sur la maladie d'Alzheimer. C'est la première fois que cela est observé depuis que cette maladie est connue. Les anticorps disponibles font actuellement l'objet d'études cliniques pour vérifier leur efficacité. Les études cliniques ont montré un effet de récupération de l'état cognitif, comme la fonction de la mémoire.
Jusqu'à présent, aucun traitement n'avait un effet curatif. Il est donc important de détecter les patients éligibles pour bénéficier de l'innovation thérapeutique. Cela change la donne pour Alzheimer, car il y a maintenant des armes curatives potentielles.
Pourriez-vous clarifier la distinction entre la prévention primaire et la prévention secondaire ?
Bien sûr, la prévention primaire vise à empêcher l'apparition de maladies. Pour cela, nous disposons de moyens forts et puissants, tels que l'activité physique, la gestion du stress et des émotions, ainsi que la nutrition. Dans de nombreux domaines, nous sommes capables de retarder l'apparition de maladies chroniques et d'empêcher la progression de maladies plus aiguës ou pseudo-chroniques, comme le cancer. La prévention primaire vise donc à préserver un état de santé qui n'est pas dégradé à la base.
La prévention secondaire, quant à elle, concerne les personnes ayant déjà reçu un diagnostic de maladie, comme l'insuffisance cardiaque. Le but est d'éviter les décompensations et les aggravations de la maladie chronique. Prenons l'exemple de l'insuffisance cardiaque, qui est assez parlant. La décompensation cardiaque peut provoquer un œdème pulmonaire, c'est-à-dire des crises qui font que la respiration devient plus difficile. À un moment donné, les poumons se remplissent d'eau et, en général, la personne doit se rendre aux urgences. La prévention secondaire consiste donc à essayer d'empêcher autant que possible ces épisodes de décompensation d'une maladie chronique et leur aggravation.
La prévention primaire est-elle par nature généraliste, ou pensez-vous qu'il est possible de proposer des programmes spécifiques en fonction de la situation de chacun ?
C'est précisément l'objectif scientifique de nos travaux. Je suis convaincu qu'il est essentiel de personnaliser au maximum les sujets de prévention et les interventions préventives. D'une part, il est impossible de tout aborder de manière générale. D'autre part, cela permet de mettre en avant deux principes directeurs de notre programme de recherche : l'empowerment (autonomisation) autrement dit, la motivation individuelle, et l’accessibilité.
La réussite de la prévention primaire dépend de l’implication et du consentement de l'individu. Sinon, son efficacité est compromise. Le changement de comportement est souvent difficile à accomplir. Les messages de santé publique ont du mal à passer auprès des populations latines. Ils ont un impact plus limité que sur les nordiques ou anglo-saxonnes. En effet, les latins ont tendance à ne pas modifier leur comportement car ils ne voient pas d'avantage immédiat à le faire s'ils ne sont pas déjà malades. Leur préoccupation principale est d'éviter de tomber malades, plutôt que d'améliorer leur santé qui est déjà satisfaisante. Ainsi, la motivation individuelle joue un rôle clé dans l'engagement en matière de prévention.
L'accessibilité est l'autre élément clé. Les programmes de prévention primaire fonctionnent mieux pour ceux qui en ont réellement besoin. Par exemple, un cadre supérieur aisé sera plus enclin à prêter attention à son comportement qu'une personne précaire, socialement isolée et ayant des ressources financières limitées. Les personnes vulnérables qui ont un accès difficile aux soins de santé, ne bénéficient pas d'une prévention fiable, car elles ne sont ni ciblées ni sollicitées de manière adéquate. La question de l'accessibilité géographique, sociale et numérique se pose donc dans le domaine de la prévention, et les outils numériques peuvent être d'une grande aide pour déployer des méthodes de caractérisation et d'intervention ciblées, permettant une approche individuelle. En effet, la pénurie de ressources humaines rend difficile la mise en place d'activités de prévention en plus des soins. Il est donc crucial de caractériser cette problématique, en particulier pour les personnes les plus vulnérables, telles que celles en situation de précarité sociale ou d'isolement lié à l'âge.
Qu’attendez-vous de cette mission confiée par Agnès Firmin Le Bodo à la filière Silver économie ? Comment pensez-vous qu'il puisse s'intégrer dans votre réflexion scientifique sur les personnes âgées vulnérables, et quels résultats espérez-vous en tirer ?
L'objectif de ce rapport est de se concentrer sur la population âgée de 50 à 75 ans et de recenser les initiatives déjà mises en place. Cette mission revêt une grande importance car, bien que de nombreuses actions soient entreprises, il n'y a pas de remontée d'informations. Actuellement, la CNSA (Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie) travaille avec les acteurs territoriaux, mais cela ne mesure pas toutes les actions efficaces et ne les reproduit pas. D'autres actions sont dupliquées sans savoir qu'elles ont déjà été entreprises, entraînant un gaspillage de temps et d'argent considérable.
Pour la prévention, il est important de mettre en place un cadre méthodologique pour cette dimension, qui est récemment devenue une préoccupation en France. D'autres pays, tels que les blocs scandinave et nord-américain, sont des références de qualité supérieure à la nôtre. Il est donc important de s'appuyer sur ces benchmarks internationaux pour montrer comment cela peut être appliqué à l'échelle nationale en prenant en compte les spécificités locales.
L'autre élément est de proposer des recommandations basées sur l'état actuel de la science pour maintenir la santé de la population âgée de plus de 50 ans. En tant que gériatre, mon objectif est de maintenir leur santé.
Maintenir l'autonomie est crucial, même pour la classe d’âge 75-85 ans. Prévenir la fragilité et maintenir la santé sont deux sujets différents, bien qu'interconnectés. Mais le maintien de la santé est le levier le plus efficace pour préserver l'autonomie, car la perte de celle-ci est souvent causée par une accumulation de maladies mal gérées. Les patients et les familles doivent comprendre ce lien important. Enfin, il est crucial de cibler la maladie entre 75 et 85 ans pour éviter la perte d'autonomie, et enfin de fournir un accompagnement au-delà de 85 ans.
Focus sur Tempoforme® et ALISA
Pour répondre aux défis démographiques, économiques et sociétaux, plusieurs programmes de détection précoce ont été développés en France.
Tempoforme® : prévention primaire pour un vieillissement actif et autonome
Parmi eux, Tempoforme® se positionne en tant que fer de lance dans la prévention des pré-fragilités avant qu'elles ne deviennent irréversibles. Ce programme de santé publique, lancé en mai 2022, repose sur quatre piliers fondamentaux : l'application mobile Tempoforme®, le site internet tempoforme.fr, les formations associées et l'espace Tempoforme®-Lille situé au CHU de Lille. Tempoforme® vise principalement les personnes âgées de 55 à 70 ans et leur propose une évaluation personnalisée de leur profil de vieillissement grâce à l'auto-évaluation anonyme réalisée via l'application. En cas de détection de pré-fragilités, les utilisateurs sont incités à consulter leur médecin traitant ou à bénéficier de téléconsultations ou de bilans de santé "Bien Vieillir" à l'espace Tempoforme®. Ces bilans permettent d'évaluer les différentes pré-fragilités physiques, cognitives, neurosensorielles, respiratoires et cardio-métaboliques, et de définir des actions prioritaires à mettre en place pour favoriser la réversibilité de ces pré-fragilités. Après seulement 10 mois de mise en œuvre, les résultats obtenus sont prometteurs : le site web a enregistré plus de 47 600 utilisateurs, l'application a généré près de 25 000 questionnaires, dont plus de 15 000 ont été complétés, et 134 bilans de santé "Bien Vieillir" ont été réalisés.
Programme ALISA : prévention secondaire pour une gestion proactive de la fragilité
Le programme ALISA (ALImentation Saine, durable et Accessible) est une autre initiative qui réunit l'Institut For A Positive Food, le Centre de Recherche de l'Institut Paul Bocuse et le programme Vivons en Forme (VIF®), en collaboration avec les villes d'Ecully et de Meyzieu (69). Son objectif principal est de rendre l'alimentation saine et durable plus accessible et attrayante pour les personnes âgées de 55 ans et plus. En reconnaissant que les ressources nécessaires à une alimentation saine ne sont pas uniformément réparties, le programme ALISA vise à offrir des solutions adaptées à ces publics en impliquant directement les habitants dans la conception des repas. Les villes partenaires, Ecully et Meyzieu, jouent un rôle clé dans la mise en œuvre de ce projet, en formant leurs encadrants et animateurs pour proposer des outils et des expériences qui promeuvent une alimentation plaisir, saine et durable pour tous. Elles ouvrent notamment les portes de leurs Centres Communaux d'Actions Sociales (CCAS) pour mettre en œuvre le programme ALISA.
En conclusion, il est essentiel de mobiliser l'ensemble des acteurs impliqués, tels que les professionnels de la santé, les collectivités territoriales, les associations et les individus eux-mêmes, afin de mettre en place des stratégies de prévention efficaces. Cependant, nous devons aller encore plus loin. Avec le report de l'âge légal de départ à la retraite, de nombreux seniors continueront à travailler jusqu'à l'âge de 64 ans, ce qui soulève la question cruciale de l'implication des employeurs dans la prévention des pré-fragilités liées au vieillissement au sein des entreprises. Il est impératif de les sensibiliser aux défis spécifiques du vieillissement et de leur fournir les outils et les ressources nécessaires pour favoriser la création d'environnements de travail favorables à la préservation de la santé et de l'autonomie des actifs seniors. En effet, la prévention des pré-fragilités en milieu professionnel contribue non seulement à préserver la qualité de vie des travailleurs seniors, mais aussi à favoriser leur maintien dans l'emploi tout en réduisant les coûts liés à l'absentéisme et aux arrêts de travail pour incapacité ou invalidité.