Les résidences autonomie comme solution au défi du logement
Les Cahiers de la Silver économie #14
Suite à la restitution du Conseil national de la refondation (CNR) consacré au logement et aux mesures annoncées par la Première ministre Élisabeth Borne le 5 juin dernier, Christophe Robert, sociologue et délégué général de la Fondation Abbé Pierre s’est exprimé en ces termes : « Ce n’est pas le grand soir. Il n’y a pas “rien”, mais ce n’est pas cela qui va nous permettre de rebooster la politique du logement. »
Cette déclaration fait écho à la restitution du CNR sur le Bien Vieillir, qui s'est tenue deux mois auparavant au ministère de la Santé en présence de Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l'Autonomie et des Personnes handicapées de France, et d'Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la Santé et de la Prévention. Cette restitution met en lumière la nécessité d'une politique volontariste en faveur du parc social et souligne la situation préoccupante des résidences autonomie, « grandes oubliées des politiques sociales ». Elle appelle ainsi à soutenir activement leur développement à travers la mise en place d’un plan Marshall.
La déclaration de Christophe Robert prend également en compte le « Plaidoyer pour les résidences autonomie » publié par la Fnadepa (Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées) en mai. Ce document présente 17 recommandations visant à renforcer le rôle de ces structures et à améliorer leur capacité à répondre aux besoins des personnes âgées. La Fnadepa préconise diverses mesures, telles que l'introduction d'une nouvelle définition des résidences autonomie et une révision des limites d'accueil existantes. De plus, la fédération propose des mesures législatives, réglementaires, fiscales et financières pour améliorer la situation de ces établissements. Selon la Fnadepa, une définition renforcée permettrait de consolider la position des résidences autonomie dans le paysage médico-social et de les reconnaître comme une véritable réponse aux besoins liés au vieillissement de la population.
Les résidences autonomie constitueraient-elles une solution à la sortie de crise du logement ? Pour répondre à cette question, nous avons sollicité l'avis éclairé de Jean-Christophe Briant, fondateur de JCB Strat Santé & Seniors et co-fondateur de StratSeniors avec Avenir & Capital Humain, et de Mario Bastone, directeur général d’Énéal, la foncière médico-sociale du groupe Action Logement.
État des lieux des résidences autonomie
Actuellement, plus de 2 300 résidences autonomie accompagnent près de 120 000 personnes âgées au quotidien. Ce chiffre se situe entre celui des résidences services seniors (RSS), qui s'élève à environ un millier, et celui des 7 333 établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) recensés en 2023. Cependant, contrairement aux Ehpad et aux RSS dont le nombre tend à augmenter, le nombre de résidences autonomie diminue depuis 25 ans. Pourquoi ? Est-ce parce que ce modèle ne correspond tout simplement plus au mode de vie et aux besoins des personnes âgées ? Ou est-ce plutôt une question de financement ?
Qu'est-ce qu'une résidence autonomie ?
Les résidences autonomie sont des ensembles de logements destinés aux personnes âgées encore autonomes vivant seules ou en couple, et qui ne peuvent ou ne veulent plus vivre chez elles. Ces résidences offrent un environnement sécurisé et se composent généralement de logements individuels ainsi que d'espaces communs tels que des salles d'activités, des salles de restauration, des espaces de détente et des jardins. Elles proposent également des services de conciergerie pour le nettoyage et l'entretien des logements. Gérées principalement par des structures publiques comme les centres communaux d'action sociale (CCAS) ou des structures privées à but non lucratif, elles offrent des coûts de logement modérés.
Quelle est la différence avec une résidence services ?
La principale différence réside dans le fait que les résidences autonomie sont des structures publiques, tandis que les résidences services sont privées. Bien que les deux types de résidences s’adressent aux personnes âgées, elles présentent des caractéristiques différentes. De plus, contrairement aux résidences services, les résidences autonomie ne proposent pas un niveau élevé de soins médicaux.
Quels sont les avantages des résidences autonomie ?
Les résidences autonomie préservent l'autonomie des personnes âgées en leur permettant de continuer à vivre de manière indépendante tout en bénéficiant d'actions de prévention dispensées par des professionnels et d'aménagements qui optimisent leur sécurité. Elles favorisent le maintien du lien social grâce aux espaces communs qui facilitent les échanges entre résidents. Les animations et les activités proposées contribuent au bien-être psychologique et préviennent l'isolement social. En outre, les résidences autonomie offrent un environnement protégé avec des dispositifs de sécurité 24h/24 tels que des systèmes d'alarme, des caméras de surveillance ou des gardiens. Ces résidences sont bien équipées, mettant à disposition des espaces verts, des salles de sport, des bibliothèques, des salles de jeux et des services de restauration. Enfin, leur emplacement privilégié favorise la proximité des commerces, des services de santé et des transports facilitant ainsi les déplacements et l’accès aux services.
Pourquoi les résidences autonomie n’ont-elles pas la cote ?
Le nombre de CCAS a diminué, passant de 28 000 à moins de 15 000 entre 2007 et 2019. Leurs budgets sont revus à la baisse également, tandis que les dépenses de fonctionnement du budget principal ont augmenté de 13 % entre 2007 et 2019. Les dépenses de fonctionnement des budgets annexes, principalement composées des dépenses d'établissements et de services publics sociaux et médico-sociaux (ESMS), se sont élevées à 3,4 Md€ en 2019 [source : vie-publique.fr]. Confronté à un déficit financier important, avec des pertes estimées à près d’1 M€, le CCAS de Poitiers a, par exemple, dû prendre des mesures drastiques telles que la fermeture de la résidence autonomie Edith-Augustin d'ici la fin de l’année 2023 [source : francebleu.fr].
Pourtant, les projections démographiques indiquent une augmentation significative du nombre de personnes âgées. D'ici 2050, 4,8 millions de personnes auront plus de 85 ans (contre 2 millions aujourd'hui) et 6 millions auront entre 75 et 84 ans d'ici 2030, soit une augmentation de 47 % entre 2020 et 2030. En réponse à ces défis, un rapport réalisé par le Haut-Commissariat au Plan et le think tank Matières Grises souligne la nécessité d'adapter l'habitat au vieillissement. Ce rapport identifie trois axes stratégiques, dont l'hébergement adapté pour les seniors modérément dépendants, avec une recommandation de créer entre 200 000 et 300 000 places d'hébergement intermédiaire. Parmi les solutions préconisées, figurent les résidences services seniors, l'habitat inclusif ainsi que les résidences autonomie.
Il est évident que, compte tenu de la crise sanitaire, de la nouvelle réglementation RE2020 et du conflit en Ukraine qui a entraîné une pénurie de matériaux ainsi qu'une inflation généralisée, les comptes n’y seront pas si les efforts se concentrent uniquement sur la construction de nouveaux établissements. Le secteur de la rénovation, malgré les coûts liés à la transition énergétique, peut tirer son épingle du jeu. C'est là que les points de vue de Jean-Christophe Briant et Mario Bastone prennent tout leur sens.
Résidences autonomie : comment réveiller la « Belle endormie » ?
Jean-Christophe Briant est le fondateur de JCB Strat Santé & Seniors et co-fondateur de StratSeniors avec Avenir & Capital Humain. Il est également l’auteur d’études Xerfi Santé et Seniors.
StratSeniors est issue de l’alliance de JCB Strat Santé & Seniors (appui stratégique au développement dans la Silver économie) et d’Avenir & Capital Humain (accompagnement des projets de changement et de transition des collaborateurs) au service des entreprises accompagnant les publics seniors.
La résidence autonomie a pour ancêtre le foyer-logement créé officiellement à la suite de la loi-du 7 août 1957 tendant à favoriser la construction de logements et les équipements collectifs (loi-cadre sur l’urbanisme). Ce n’est qu’à partir de 2016, en application de la loi de l’adaptation de la société au vieillissement (dite loi ASV), que le foyer-logement renommé pour la circonstance « résidence autonomie » se voit confier une mission de prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées. Dès lors en plus des caractéristiques typiques de l’habitat intermédiaire « résidence seniors » (appartements privatifs de types F1 ou F2, espaces communs partagés de 150 à 300 m² comme la salle d’animation ou le restaurant, prestations individuelles ou collectives), la résidence autonomie se doit :
de proposer un socle de 11 prestations minimales en interne ou grâce au recours à des prestataires ;
de mettre en œuvre des actions individuelles ou collectives de prévention de la perte d’autonomie financées par le forfait autonomie ;
ou encore de respecter des règles simplifiées (adieu le GIR moyen pondéré) relatives aux publics accueillis comme le seuil de 10 % de GIR 1-2, en dessous duquel la RA n’a pas à se soumettre à la réglementation des établissements recevant du public (ERP) de type J comme les Ehpad, le seuil de 15 % pour les personnes en GIR 1-3 ou limitation de l’accueil de personnes en situation de handicap, d’étudiants et de jeunes travailleurs à 15 % de la capacité installée.
La résidence autonomie reste en 2023 le principal habitat intermédiaire dédié aux seniors autonomes ou en légère perte d’autonomie avec 2 334 structures, soit deux fois plus que le nombre de résidences services seniors (RSS). Néanmoins, le parc de RA demeure stable entre fermetures, fusions, rénovations/extensions ou restructurations et créations (20 en moyenne par an tandis que les 3/4 des résidences ont été construites avant 1990) au contraire des parcs de RSS et de solutions d’habitat partagé en forte croissance.
Près de 65 % des RA sont de statut public (gérées par un CCAS/CIAS dont l’impressionnant CCAS de la Ville de Paris, une commune, un établissement ou service social ou médico-social (ESMS) communal ou intercommunal, etc.) et plus de 30 % de statut privé à but non lucratif (Arpavie, l’association La Compassion, l’ARFO, Amaelles/Apalib’, le Groupe SOS, la Fondation Partage et Vie, SEMINOR, VYV3 Pays de la Loire, AÉSIO Santé, etc.). Parmi les acteurs importants d’autres statuts, on note également le Groupe Action Logement/Enéal ou UNIVI.
Solution d’hébergement intermédiaire « historique » longtemps restée la seule réponse aux problématiques d’isolement social et de sécurité des seniors, la résidence autonomie a été autorisée par les départements dans tous les types de territoires même si 70 % des RA sont localisées dans des zones urbaines. Un statut qui explique en grande partie la grande hétérogénéité du parc, entre Marpa ruraux de 20-25 logements ou RA en ville-centre de plus de 75 logements, ainsi que des tarifs. En effet, si la RA a une vocation sociale, seule la moitié des résidences sont habilitées à l’aide sociale à l’hébergement à ce jour entre déshabilitation en raison de difficultés financières ou absence historique d’habilitation dans certains départements.
Proposer un tarif raisonnable est pourtant une promesse de valeur essentielle de cette solution surtout au regard des prestations proposées par l’habitat partagé dans la ruralité (co-construction de solutions) et la RSS dans les grandes unités urbaines (niveau des prestations immobilières et de services).
Repositionner l’existant (rénovations, recalibrage des capacitaires, diversification) et recentrer les nouveaux projets sur des territoires légitimes (ex : le piège de l’installation de RA dans des territoires caractérisés par une population âgée aisée) en partenariat avec les acteurs des écosystèmes locaux voire les foncières doivent permettre de redynamiser la « belle endormie » qu’est la résidence autonomie.
Énéal ou l’art de redonner de la qualité à l’existant pour le bien-être des résidents et des professionnels qui y travaillent
Mario Bastone, directeur général d’Énéal, la foncière médico-sociale du groupe Action Logement a accepté de nous partager son expertise sectorielle en répondant à nos questions.
Quels objectifs s’est fixé Énéal ?
Énéal s'est fixé plusieurs objectifs dans le domaine du logement senior et de la restructuration du secteur médico-social à but non lucratif :
Développer des agréments neufs sur des établissements médico-sociaux (Ehpad, résidences autonomie…) via des appels à projets en groupement. Pour rappel, nous sommes une entreprise sociale pour l’habitat et ne gérons que le volet immobilier. Actuellement, nous établissons une projection de 3 500 lits sur 10 ans.
Accompagner la réhabilitation et la rénovation d’établissements médico-sociaux à but non lucratif. Il arrive que des associations, des mutualités, des hospitaliers, des bailleurs sociaux cèdent des établissements construits dans les années 70-80 qui n’ont pas forcément été bien entretenus, voire jamais réhabilités. Cela représente un volume de 10 000 lits sur 10 ans.
Accompagner les filiales locales pour le maintien à domicile des personnes âgées vieillissantes en se servant par exemple des établissements dont Énéal est propriétaire pour créer des plateformes de services et les diffuser.
Pourquoi vous concentrer principalement sur la réhabilitation et la rénovation ?
La rénovation représente un engagement de 150 établissements à acquérir pour environ 10 500 places sur tout le territoire national, y compris sur les départements d’Outre-mer. Ces rénovations représentent 2/3 de résidences autonomie et 1/3 d’Ehpad.
L’enjeu est plus porté sur les réhabilitations que sur la création de neuf. Aujourd’hui, il existe déjà beaucoup d’établissements dont le bâti est en mauvais état. Notre priorité est donc de redonner de la qualité à l’existant afin que les résidents y logent dans de bonnes conditions. De plus, la réhabilitation peut être accompagnée de la création d’extensions qui permettent 15 % de places supplémentaires. Cela comporte un véritable intérêt permettant au gestionnaire médico-social d'avoir un peu plus de volume économique à traiter sur son établissement.
Enéal s’engage sur un programme de travaux lourds sur ces établissements tout en essayant de maintenir les résidents sur place afin que le gestionnaire médico-social dans l’établissement puisse conserver un niveau de loyer et de redevance stable.
Comment parvenez-vous à atteindre l’équilibre budgétaire dans vos opérations ?
Tout d’abord, nous disposons de fonds propres importants de la part du groupe Action Logement qui permettent d’injecter des sommes importantes dans les opérations. Ensuite, nous avons un gros volume d’activité qui permet d’acquérir une certaine rentabilité. Enfin, nous travaillons main dans la main avec le financement du logement social afin de trouver le plus de financement possible.
Je dirais que faire de la réhabilitation, c’est plus compliqué que faire du neuf. Le coût des matériaux est de plus en plus cher, de plus en plus d’entreprises sont défaillantes sur le sujet de la réhabilitation lourde et les emprunts sont importants. Un plan de décarbonation peut par exemple coûter très cher. De plus, lors de réhabilitations, lorsque le bâtiment est occupé, il faut trouver des solutions pour libérer les gestionnaires et les occupants. C’est donc plus long et plus technique.
Nous cherchons à optimiser les coûts en mutualisant les rénovations avec les améliorations énergétiques. Bien que cela entraîne un coût supplémentaire, cette approche nous permet de cumuler ces enjeux afin d'éviter de devoir effectuer des travaux ultérieurs sur le même bâtiment à court terme.
Comment intégrez-vous vos actions dans la ville de demain ?
Les bailleurs sociaux ont une réelle capacité à créer de vrais parcours résidentiels car le logement social couvre tous les périodes de la vie. Aujourd’hui, il existe énormément de nouvelles structures comme l’habitat partagé ou l’habitat intergénérationnel. Il est essentiel d’établir des partenariats avec des services et des structures médico-sociales afin de créer l’environnement le plus adéquat pour les résidents.
Lorsque les résidences autonomie que nous envisageons d’acquérir sont trop excentrées sans répondre aux besoins globaux de maintien de l’autonomie des résidents (absence de transport pour accéder au centre-ville, manque de vie sociale à proximité, etc.), alors, nous adoptons une approche consistant à reconstruire un nouvel établissement mieux agencé, tout en rénovant l’ancien pour le transformer en logements étudiants, par exemple. Ces logements doivent s’adapter et s’intégrer harmonieusement à leur environnement local.
Pensez-vous que le défi du logement adapté est constamment repoussé ?
Il y a peu de grandes solutions portées par l’État. Il existe une méconnaissance assez forte des besoins des populations vieillissantes. Les solutions sont toujours des réactions directes à des problèmes complexes qui ne sont pourtant pas soudains. Il est nécessaire de renforcer les efforts en matière de prévention et de recherche de solutions en amont afin de développer une véritable stratégie et d’éviter d’être pris au dépourvu.
Il faut, avant tout, bien connaitre les situations et besoins des personnes vieillissantes afin d’apporter une réponse adaptée à chacun. Dans ce cadre, il faut aussi pouvoir multiplier les offres sur les territoires et même dans les quartiers afin de permettre à chaque personne de rester au vivre sein de son quartier et de garder ses habitudes de vie.
Comment les bailleurs sociaux envisagent-ils les solutions de demain ?
Tout d’abord en accompagnant, en structurant et en multipliant des offres de qualité avant de les mutualiser et de trouver des solutions communes avec des structures déjà existantes sur les territoires (les résidences autonomie, les logements sociaux, les résidences seniors privées lucratives, etc.). En mettant en commun nos espaces et nos services, il sera peut-être possible de répondre à tous les besoins de la personne âgée. Celle-ci habitant chez elle devra pouvoir déjeuner au sein de la résidence autonomie. Dans le même temps, les aides-soignants travaillant en Ehpad devront pouvoir également travailler à domicile.
L’Ehpad existera toujours, mais il est nécessaire de le rendre plus convivial, moderne et acceptable pour les résidents et les professionnels qui y évoluent, en favorisant son ouverture sur l’extérieur et sur le quartier, tout en maintenant un niveau de sécurité adapté.
Il y aura sûrement plus de résidences autonomie, ce sont des solutions ouvertes sur le quartier permettant aux personnes âgées de maintenir leur autonomie tout en bénéficiant de nombreux services. Nous cherchons également à intégrer le quartier au sein même des résidences autonomie. Certaines de nos résidences comprennent des micro-crèches au rez-de-chaussée, favorisant ainsi la mixité des publics.
En conclusion, les résidences autonomie représentent une solution précieuse à la fois pour les personnes âgées en perte d'autonomie et pour la crise du logement. En renforçant ces structures par le biais de mesures législatives, réglementaires et financières, et en les intégrant davantage dans l'habitat inclusif, les résidences autonomie pourraient jouer un rôle encore plus significatif dans le maintien de la qualité de vie et de l'autonomie des personnes âgées tout en contribuant à soulager la pression sur le marché du logement. Ces initiatives sont essentielles pour créer des environnements urbains plus inclusifs et répondre aux besoins variés de la population dans les années à venir.