Vous êtes de plus en plus nombreux à nous lire et nous vous remercions pour votre fidélité. Ces rendez-vous mensuels sont l’occasion de vous partager des études et réflexions portées par les acteurs de la Silver économie. Et justement, ce mois-ci, nous souhaitons partager avec vous les premiers livrables rendus par le groupe de travail “Distribution B2C en Silver économie”. Animé par Dominique Boulbès (Indépendance Royale), il réunit :
Caroline Mouminoux (Legrand)
Fabrice Broutin (Schneider)
Mickael Saillant (France Adresses)
Nadia Elouarghi Vegas (Silvers At Home)
Titouan Levart (Silver Valley)
Devoirs de vacances
Pendant l’été, le groupe a planché sur la représentation des dynamiques qui irriguent notre écosystème. Ce travail mené à travers des enquêtes de terrain et des rencontres avec les professionnels ont amené le groupe de travail à une conclusion étonnante.
La Silver économie, ce n’est pas un secteur, mais une dynamique.
Dans la première partie de votre newsletter, Dominique Boulbès vous explique plus en détail les tenants et aboutissants de ce constat. Il poursuit en présentant la matrice construite avec le groupe de travail afin de représenter le marché.
Nous recevons aussi Alain Monteux, Directeur Général de Tunstall Vitaris qui nous explique comment les pure players de la Silver économie pourraient faire évoluer leur stratégie de distribution afin de rajeunir leur clientèle.
Le mot de la fin revient au Président de la filière, Luc Broussy.
Dominique Boulbès, pouvez-vous résumer les premières conclusions du groupe de travail “Distribution B2C en Silver économie” ?
Il faut d’abord s’interroger, au fond, sur ce qu’est la Silver économie ; il semble que la question n’ait pas été suffisamment posée. Certes, un consensus existe. La réalité du vieillissement de la population est de plus en plus comprise par les citoyens, les médias, les entreprises, les politiques. Personne ne conteste ni le phénomène, ni son importance.
Pourtant, de façon paradoxale, l’image de la Silver économie oscille entre deux extrêmes. D’une part, le traitement de la dépendance, le grand âge. De l’autre, le foisonnement de start-up innovantes, mais qui ne parviennent que rarement à maturité, en particulier - c’était le thème du groupe de travail - dans une stratégie “BtoC”. Finalement, nous avons du mal à « lire » la Silver économie comme un tissu économique robuste.
Cette ambiguïté d’image renvoie plus fondamentalement à une question de définition. Si l’on cherche à définir la Silver économie par l’offre, cela ne fonctionne pas ou peu. Tout le monde comprend qu’une résidence services seniors est un produit “senior”, c’est évident.
Mais quid d’un hôtel dont la clientèle vieillit ?
Du secteur automobile dont l’acheteur moyen est âgé de 57 ans ?
Si l’on réfléchit du point de vue de la demande, on rencontre la même impasse intellectuelle. Dans le cas d’un senior qui achète un monte escalier, on est clairement dans la Silver économie. Mais un senior qui achète de l’eau minérale… Silver économie ou pas Silver économie ?
Le symptôme de ces difficultés d’approche est le peu de données disponibles à propos de la filière, avec des chiffres que l’on ressasse depuis 2013, 300 000 emplois, 130 milliards d’euros de CA… Ce sont des données qui ont presque 10 ans et qui concernaient surtout le secteur des services à la personne.
Alors, comment penser la Silver économie ? L’erreur est d’essayer de la cerner comme un secteur déjà constitué, alors que, précisément, elle est en cours de constitution. Faisons le parallèle avec l’environnement : on ne parle pas de secteur de l’environnement, car tout le monde est concerné d’une façon ou d’une autre, mais de la transition environnementale.
C’est pareil pour la Silver économie : ce n’est pas d’un secteur dont il s’agit, mais d’une transition, la transition démographique.
Conclusion : il faut arrêter de chercher à tout prix à définir… Ce qui n’existe pas encore, ou peu ! Il faut au contraire comprendre les dynamiques à l’œuvre. Comment les entreprises vont-elles intégrer dans leur stratégie cette transition démographique, pour dire les choses simplement, le fait que leurs clients vieillissent et que dans les 30 prochaines années, l’accroissement du nombre de Français se fera exclusivement par les plus de 70 ans ?
Concrètement, nous avons identifié deux axes très simples d’analyse pour identifier où en sont les entreprises dans leur « marche » vers la Silver économie :
Les produits ou services sont-ils identifiés « seniors » ?
Un réseau de distribution dédié et / ou un marketing spécifique existe-t-il ?
Ceci nous donne 4 quadrants qui correspondent à 4 stratégies différentes. Tout l’enjeu est de positionner les entreprises, non seulement sur un de ces quadrants, mais surtout sur les dynamiques de passage d’un quadrant à l’autre.
Comment lire la matrice de la Silver économie ?
Haut droit
Des produits qui sont identifiés senior et qui ont un marketing et/ou et ou un réseau de distribution dédié. Vous y trouvez l’offre identifiée Silver économie, celle dont on parle quand on parle de la filière. Téléassistance, Ehpad, Audika, Indépendance Royale, Saveurs & Vie, Incomed, etc. Ce sont des stratégies pure players. Elles ont un profil économique très particulier lié à la dispersion de leur clientèle, que nous avons analysé.
Bas à gauche
C’est le contraire des pure players. Les produits ne sont pas identifiés senior et n’ont ni marketing, ni réseau de distribution dédié. Par exemple, l’automobile qui ne positionne pas ses produits comme senior, mais dont la réalité de marché fait que l’âge moyen d’un acheteur est de 57 ans. Ou la marque Decathlon, dont une grande partie de la clientèle est senior, à la recherche de produits robustes et confortables.
Il y a deux types d’entreprises, les « attentistes » qui savent pertinemment que leur clientèle est senior mais qui ont choisi de ne pas s’en emparer. Et ceux que nous avons baptisés « M. Jourdain » qui n’ont pas compris que leur clientèle vieillissait, mais qui l’intégreront un jour ou l’autre. Haut à gauche
Ce sont des produits qui ne sont pas ou peu identifiés senior, mais qui, peu à peu, face à la réalité de leur clientèle, développent une distribution senior. Par exemple les croisières, loisir de jeunes il y a 40 ans, mais consommé par les seniors aujourd’hui. Ils ne se positionnent pas ouvertement comme seniors, ou peu, mais leur marketing, oui. Même chose pour Damart. Nous avons appelé ce quadrant « soft landing », donc une forme d’atterrissage en douceur vers la Silver économie.
Bas à droite
Dans ce quatrième quadrant, vous avez les produits qui sont identifiés comme seniors, mais qui n’ont pas de réseau de distribution exclusivement sur les seniors. Pourquoi ? Parce que leurs produits n’ont pas un prix assez élevé, ou ne sont pas assez récurrents pour amortir les frais de distribution. Il leur faut donc développer des stratégies d’alliance, soit internes (gammes complémentaires comme pour les cosmétiques antirides) ou en s’adossant à un grand groupe, comme la tablette Ardoiz distribuée par La Poste.
En synthèse : 4 dynamiques qui sont la clé de la Silver économie
Nous avons identifié 4 trajectoires qui nous paraissent être les clés de compréhension principales.
La dynamique 1, « prise de conscience », passage des stratégies attentistes vers des stratégies soft landing, donc l’intégration progressive de stratégies marketing et distribution seniors.
La dynamique 2, « bascule », reconnaissance des produits comme pleinement seniors et marche vers les pure players.
La dynamique 3, « intégration », identification des produits, tout ou partie comme seniors, sans pour autant dédier une distribution spécifique, donc marche vers des stratégies d’alliance.
La dynamique 4, « autonomie », passage du statut de produits intégrés dans un ensemble à un statut de pure players, donc obtention d’une taille critique.
La stratégie pure player : zoom sur le marché de la téléassistance avec Alain Monteux, directeur général de Tunstall Vitaris
Alexandre Faure : Quel est ton ressenti par rapport à la matrice et au panorama de la Silver économie réalisés par Dominique Boulbès devant le CNSE ?
Alain Monteux : Pour ma part, en tant que pure player, je ne me pose pas les mêmes questions qu’un “Monsieur Jourdain”. En regardant cette matrice, je me demande si les pure players cherchent à rester dans leur quadrant ou s’ils sont tentés de se rapprocher du quadrant haut - gauche.
Alexandre Faure : Peux-tu préciser ?
Alain Monteux : Les téléassisteurs ont une clientèle âgée et se demandent comment rajeunir la cible, aller chercher les baby boomers le plus tôt possible et toucher une clientèle plus jeune de dix ans au moins. Et donc, ça correspond au quadrant en haut à gauche. Donc avoir un discours moins orienté senior et sortir de notre logique pure player senior pour toucher d'autres populations. Donc à mon sens, certes la Silver économie concerne des “Monsieur Jourdain” qui n'ont pas conscience du vieillissement de leur clientèle, mais aussi des pure players qui aimeraient la rajeunir un petit peu.
Alexandre Faure : Que peut-on faire pour rajeunir sa cible, en téléassistance ?
Alain Monteux : C’est un sujet récurrent dans notre profession. Aujourd'hui peu d'enseignes sont parvenues à rajeunir leur cible de façon pérenne. C'est pourtant le seul moyen pour ne plus être dans un marché contraint de 700 000 abonnés et de toucher beaucoup plus de monde. Et voilà, on a l'impression que le volume n'augmente pas beaucoup alors qu'à côté il y a des 75 ans qui arrivent sur le marché et ceux-là, nous n'arrivons pas à les atteindre. C'est sans doute un problème de communication, d'offre, de canal de distribution. Et c'est dans ce sens que l'exposé de Dominique Boulbès est intéressant, car il aborde ces sujets-là, qui nous occupent tous.
Alexandre Faure : C'est une ambition de Tunstall-Vitaris, d'essayer de toucher des publics plus jeunes ?
Alain Monteux : Oui. Et de diversifier. Je prends toujours l'exemple de quelqu'un qui fait un AVC et qui a la chance de s'en sortir quelle chance de 100 ans de s'en sortir ! Est-ce qu'aujourd'hui il s'équipe d'une solution d'alerte quelle qu'elle soit, via une Apple Watch ou via n'importe quel bouton d'alerte ?
Est-ce qu'aujourd'hui il le fait ?
Je n'ai pas l'impression que ce soit généralisé.
À l'inverse, j'aurais un AVC et j'aurais la chance de m'en sortir, je pense que vu les enjeux, je prendrais une solution comme ça. Parce que je les connais. On parle beaucoup de logique, de prévention et santé. Comment aujourd'hui, on peut mettre des systèmes non stigmatisants qui permettent d'avoir des degrés d'alerte et un filet qu'on va resserrer dans le temps, sans que les personnes qui prennent ce type de système se sentent stigmatisées ou pensent "je suis devenu vieux".
Alexandre Faure : Est-ce qu'on peut imaginer que des équipements grand public, comme les montres connectées, préparent en quelque sorte les citoyens vieillissants à s'équiper de systèmes plus sécurisés comme la téléassistance ?
Alain Monteux : Les montres sont un bon vecteur, effectivement. Tous les objets connectés courants, qu'on peut porter à tout âge, avec des fonctions qui sont à peu près les mêmes, des finalités qui peuvent être un peu différentes. Ce sont des vrais vecteurs de compréhension, de communication et qui permettent de mettre en place un accompagnement dans le temps. Aujourd'hui la montre connectée, c'est le seul vecteur sur lequel on a rajeuni un peu notre public.
Alexandre Faure : Est-ce que tu perçois aujourd'hui la téléassistance en 2022 comme un marché de produits : les équipements techniques. Ou est-ce un marché de services à travers le plateau d'écoute et les compétences que vous développez ?
Alain Monteux : Je pense que la téléassistance est avant tout une solution humaine. Qu'est ce qui fait la téléassistance ? C'est une centrale d'écoute 24 h sur 24 que tu peux joindre à n'importe quel jour, n'importe quelle heure et quel que soit son besoin. La technologie, ce n’est pas le sujet, voire on pourrait imaginer demain de la téléassistance sans solution technologique : un numéro d'appel, on nous joint 24 h sur 24, quel que soit le besoin. À partir de là, on n'est pas vraiment dans la téléassistance car on est sur des produits qui ne répondent pas aux normes de téléassistance. Mais on est sur de la prétéléassistance.
Le mot de Luc Broussy
Il faut aller plus loin.
Le groupe de travail de Dominique Boulbès nous offre le cadrage le plus pertinent que notre écosystème ait entendu depuis très longtemps. Un cadrage qui apporte de l’eau au moulin à la thèse que nous défendons au sein de la filière, depuis des années. À savoir que la Silver économie n’est pas un secteur délimité ou restreint, mais plutôt une méthode.
C’est une analyse fondatrice. Elle pose des bases extrêmement structurantes pour l’avenir de la filière. C’est pourquoi nous avons souhaité vous partager ces informations aujourd’hui.
Nous pensons néanmoins que ce travail doit être poursuivi. Cela permettrait d’élaborer de véritables stratégies, à la fois pour chacune des entreprises qui sait faire de la Silver économie, celles qui n’y sont pas encore et celles qui y sont sans le savoir. Cela nous permettrait aussi d’essayer de mieux théoriser ce qu’est la Silver économie, d’élargir le champ de la filière à travers la présence de nouveaux acteurs au service de nouveaux partenariats et d’innovations au service du Bien vieillir.