Cette newsletter s’insère dans Les Cahiers de la Silver économie, un cycle de contenus informatifs consacrés à la Silver éconmie. Il a démarré en mars 2022 avec la publication d’un livre blanc. Chaque premier jeudi du mois, notre newsletter appronfondit l’un des thèmes du livre blanc.
Ce mois-ci, nous cherchons à savoir qui de l’Etat, des collectivités locales, des institutions ou des citoyens doit payer pour prendre la dépendance et sa prévention en charge. Nous avons interrogé trois experts :
Laure de la Bretèche, Directrice déléguée de la Direction des politiques sociales de la Caisse des Dépôts.
Stéphane Corbin, Directeur Général Adjoint de la CNSA. Compte tenu de son agenda chargé, Stéphane Corbin n’a pas pu nous transmettre son interview à temps pour la publication. Nous l’ajouterons à notre article dès que possible.
Romain Ganneau, responsable autonomie et services chez AG2R-LA MONDIALE,
Le 14 juillet, nous célébrerons la Révolution Française et son acte le plus symbolique, la prise de la Bastille. Cette Révolution qui a mis fin à l’Ancien Régime ambitionnait l’avènement d’une France plus juste et équitable. L’une des premières décisions de l’Assemblée Constituante fut d’abollir les privilèges et droits féodaux parmi lesquels, le privilège artistocratique d’être exonéré d’impôts !
Et oui, depuis le 4 août 1789 tous les citoyens sont égaux devant l’impôt. Un impôt dont la redistribution subvient aux besoins des citoyens les plus fragiles et les plus démunis.
C’est sur ce système que repose la prise en charge de la dépendance et de sa prévention au travers de différentes aides instaurées par l’Etat.
Par exemple, l’APA compense la dépendance physique en finançant les aides humaines et techniques requises pour la compenser. Le crédit d’impôt fait baisser le reste à charge des citoyens pour le recours à de l’aide humaine. Dernière née, la Prim’Adapt devrait aider les citoyens âgés à adapter leur logment aux fragilités liées à l’âge.
Cependant, l’augmentation prévisible du nombre de personnes dépendantes à horizon 2030 pourrait fragiliser cet édifice et limiter la capacité de l’Etat et des collectivités à financer les besoins de tous les citoyens fragiles.
Comment éviter une prise en charge à deux vitesses ?
Qui de l’Etat, des collectivités locales, des organismes de protection sociale, des citoyens et de leurs familles doit être mis à contribution ?
Quels autres acteurs économiques pourraient s’y investir ?
Dans ce premier dossier de l’été, nous vous invitons à réfléchir à l’avenir de notre système de financement de l’autonomie.
3 questions à Laure de la Bretèche, directrice déléguée des politiques sociales de la Caisse des Dépôts
La Caisse des Dépôts intervient en appui des politiques publiques, qu’elles soient nationales ou locales, jamais seule. Elle le fait en partenariat avec les organismes concernés, publics et privés, en associant souvent des acteurs qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble.
#1 Quel rôle la Caisse des Dépôts et Consignation (CDC) souhaite-t-elle jouer dans la solvabilisation des seniors ?
En ce qui concerne la solvabilisation des seniors, le groupe Caisse des Dépôts mène de nombreuses actions. Déjà, par le logement accessible : CDC Habitat, premier bailleur social de France avec plus de 500 000 logements, compte 32% de résidents de plus de 60 ans. CDC Habitat facilite l’accès à l’hébergement médico-social au travers des 114 résidences dont il est propriétaire et qu’il modernise.
Dans un autre registre, le groupe Caisse des Dépôts développe des réponses en matière de viager social et solidaire qui associe des services de proximité à la rente versée (Viagévie, SCIC 3 Colonnes).
Nous réfléchissons avec La Poste (filiale à 65% de la Caisse des Dépôts) et sa filiale CNP Assurances, en lien avec les fédérations concernées, à la conception d’une assurance dépendance universelle.
Enfin, la Caisse des Dépôts gère des dispositifs d’action sociale pour le compte des régimes IRCANTEC et CNRACL (près de 100 000 bénéficiaires pour un montant annuel d’environ 140 M€). À ce titre, elle attribue des prêts aux retraités à faibles revenus via le Fonds d'action sociale (FAS) et participe à des actions sociales collectives. Par exemple, l’accompagnement du financement de travaux à la rénovation énergétique des logements adossé au programme « Habiter Mieux » de l’Anah).
#2 Comment les pouvoirs publics peuvent-ils vous y aider ?
Depuis sa création, la Caisse des Dépôts agit pour la plupart de ses missions en accompagnement des pouvoirs publics. C’est donc aux côtés de l’Etat et des collectivités locales qu’elle est mobilisée pour soutenir le secteur du grand âge. Elle le fait via son réseau de 16 directions régionales et de 36 implantations territoriales, interlocuteurs des ARS et des élus.
C’est le cas du plan d’investissement du Ségur de la Santé (lancé à l’été 2020) déployé par la CNSA : une enveloppe de 1,5 Md€ a été décidée par l’Etat sur 2021-2024 pour moderniser les établissements médico-sociaux. La Caisse des Dépôts a signé le 12 juillet 2021 une convention de partenariat avec la CNSA pour apporter son accompagnement financier en crédits d’ingénierie (25 M€) et aider ainsi à la réalisation des projets (faisabilité, coopérations multi-acteurs, …). Cette convention doit aussi nous projeter vers l’offre de demain grâce aux capacités de prêts à long terme de la Caisse des Dépôts (2,5 Md€) pour financer la modernisation du secteur au bénéfice des publics fragiles et des professionnels du grand âge.
La convention CDC-CNSA flèche aussi une part d’investissement en fonds propres (1 Md€) dans des sociétés de projets ou des entreprises du secteur (Toktokdoc, Click&Care, …). Au total, 3,5 Md€ de moyens d’intervention sont portés sur la durée du plan.
La Caisse des Dépôts, par ses investissements, est attentive à la notion de parcours : la sélection et l’accompagnement des projets ont pour priorité de correspondre au parcours de vie des Français (parcours résidentiel, de lien social et de santé), notamment pour les publics fragiles. En l’espèce, ses prêts à long terme sont adossés à la ressource du Livret A pour permettre la pratique de prix de journée abordables.
#3 Privilégiez-vous les prestations en nature (payer les bénéficiaires qui s'organisent eux-mêmes) ou le financement technique (payer les prestataires) ?
La Caisse des Dépôts s’efforce de privilégier le pragmatisme et l’efficacité ; elle choisit les montages qui permettent le mieux la réalisation des projets.
Ainsi, quand elle est bailleur social avec CDC Habitat, il est habituel et de bonne règle que le bénéficiaire paie directement son loyer. Par ailleurs, en matière d’habitat inclusif, elle oriente via la plateforme hapi les porteurs de projets vers les financeurs qui vont aider à la réalisation de l’investissement tout en mesurant l’étape majeure que représente la création de l’Aide à la vie partagée (AVP) récemment mise en place par l’Etat pour financer une partie des services et de l’accompagnement aux habitants.
De même, La Poste a développé une offre de services à destination des seniors pour préserver leur bonne qualité de vie et leur autonomie, par l’accès aux services de santé à domicile, la sécurité au quotidien et le maintien d’une vie sociale active. Cette offre est soit prise en charge directement par le bénéficiaire qui peut la financer par l’APA qu’il perçoit, soit partiellement prise en charge par les collectivités. L’approche est donc différente selon les territoires et leurs besoins.
Un exemple de réalisation conduit par la Caisse des Dépôts
Née en 2016 de la fusion de trois autres associations, ARPAVIE gère 127 établissements au service de 10 000 résidents accompagnés par 3 000 collaborateurs, des résidences autonomie, des EHPAD et des services SSIAD et SAAD. Cette association, que je préside, héberge des publics à revenus faibles et intermédiaires, avec plus d’un tiers de son parc habilité à l’aide sociale.
Inaugurée à l’automne 2022, la plateforme multiservices gérontologique de Villiers-le-Bel (95) gérée par ARPAVIE, portée par CDC Habitat, construite par Icade et financée par des prêts de la Banque des Territoires de la Caisse des Dépôts pourrait préfigurer l’EHPAD de demain.
Cette plateforme va regrouper dans un même lieu et sous une direction unique, permettant la coordination des activités un SPASAD de 50 places, une plateforme de répit pour les aidants, un accueil de jour de 20 places, un hébergement temporaire de 20 chambres, un EHPAD de 96 places intégrant un PASA et une UHR dédiée aux malades d’Alzheimer.
Un développement associé des filières gérontologiques et de coopérations est prévu sur le territoire entre ARPAVIE et d’autres partenaires territoriaux (l’hôpital de Gonesse, le SSIAD de la Fondation Léonie Chaptal, le SAAD Senior Avenue, …).
3 questions à Romain Ganneau, responsable autonomie et services chez AG2R-LA MONDIALE
#1 Quel rôle AG2R La Mondiale souhaite-t-elle jouer dans la solvabilisation des seniors ?
L’ensemble des activités du Groupe, qu’il s’agisse de la retraite, de l’épargne, de la prévoyance ou de la mutuelle, concourent sous une forme à une autre à la solvabilisation d’un moment de vie, d’une dépense ou d’un projet des séniors.
De la même façon, notre action sociale s’évertue à développer de nouveaux services en simplifiant l’accès aux offres solvabilisées et en se positionnant sur des services à forte valeur ajoutée qui améliorent la qualité de vie.
#2 Privilégiez-vous les prestations en nature (payer les bénéficiaires qui s'organisent eux-mêmes) ou le financement technique (payer les prestataires) ?
Au titre de l’action sociale, principalement celle d’Ag2r Agirc-Arrco, nous intervenons sur trois orientations prioritaires directement liées à la Silver économie : Agir pour la prévention, accompagner la perte d’autonomie à domicile ou en établissement et soutenir les aidants. Les orientations et les engagements budgétaires sont sous la responsabilité des partenaires sociaux.
Les modalités de financement sont multiples et complémentaires :
Soutien aux projets d’intérêt général, portés par des associations en lien avec nos orientations, sous forme de subventions.
Aides individuelles aux retraités fragiles et à leurs aidants. Cette aide individuelle peut être financière (prise en charge d’une dépense) et/ou sous forme d’accompagnement à la recherche de la solution de proximité adéquate avec orientation vers le bon intervenant.
Solvabilisation de prestations de services. Il s’agit de prendre directement en charge le coût d’une prestation, d’un prestataire robuste, à la place du retraité. Ce type de financement est aujourd’hui nécessaire pour apporter une réponse rapide, concrète et de qualité à nos allocataires.
Ces modalités d’intervention, pour être efficaces, s’appuient sur d’autres types de dispositifs :
Le Lab usages et autonomie qui permet de recueillir les envies des seniors et d’évaluer la robustesse (preuve scientifique, preuve d’usage ou preuve de marchés) des produits et services au regard de ces envies.
L’orchestration de différentes solutions, dans une logique de parcours simples pour l’usager afin de proposer la bonne solution au bon moment.
La création, l’animation ou le soutien aux écosystèmes territoriaux dédiés au bien vieillir qu’il s’agisse par exemple de clusters, de silvers régions ou d’alliances d’acteurs de l’ESS.
#3 Comment les pouvoirs publics peuvent-ils vous y aider ?
La question n’est pas tant « qui aide qui » entre les acteurs de la protection sociale et les pouvoirs publics mais se pose plutôt en termes de complémentarité des offres et des expertises.
Cette complémentarité est aussi le fondement des coopérations entre plusieurs acteurs de la retraite. Je pense ici à Vivalab, dispositif d’innovation Inter-régime où la Fédération Agirc-Arrco apporte une expertise aux côtés de la CNAV, de la MSA et de la Caisse des Dépôts.
Nous sommes aussi attentifs, au titre du bon usage des fonds sociaux, à ne pas recréer des solutions redondantes mais à solvabiliser celles existantes. Aujourd’hui nous devons travailler collectivement à la solvabilisation de solutions robustes quand trop d’énergies et de moyens sont mis sur l’innovation ou l’expérimentation.
Exemples de réalisations par AG2R-LA MONDIALE
Un parcours autonomie permettant d’orchestrer des outils d’aide à la décision, des dispositifs de care management et des diagnostics d’ergothérapie au sein d’un dispositif unique avec des prestataires comme Alogia, My Autonomie, Ma Boussole Aidant, Autonomia.
Le financement de plusieurs solutions de répit pour les aidants porté soit par des structures de services à la personne (ADMR, UNA, etc) soit par des startups de l’économie sociale
Enfin il ne faut surtout pas oublier les prestations Agirc Arrco que sont Sortir Plus, l’Aide à Domicile Momentanée ou Bien Chez Moi.
Historiquement, le financement de la dépendance a toujours été une affaire d’Etat auquel les organismes de protection sociale se sont associés auprès des populations qu’ils protègent.
Ces modes de financement suffiront-ils dans un monde où la part des bénéficiaires pourrait excéder les capacités financières des contributeurs ?
Si tel n’est pas le cas, pourrait-on imaginer d’autres dispositifs de solidarité pour aider les citoyens fragiles ?
Une solidarité familiale ? Sollicitée par l’entremise des aidants dont nous vous avons parlé le mois dernier résout seulement une partie du problème, car l’entrée des baby boomers dans l’âge de la fragilité s’accompagnera d’une augmentation plus massive du nombre d’aidés que du nombre d’aidants.
Une solidarité de la société civile ? Conscients de cette limite, et souhaitant alléger la charge qui pèse sur les financeurs publics et institutionnels, des acteurs privés ont imaginé un dispositif innovant, baptisé “économie bienvieillante”. Il repose sur la redistribution d’une partie des bénéfices réalisés par des acteurs engagés.
Exemple dans le champ de la Silver économie
La conciergerie Smart Good Alliance qui propose une assistance dans les petits travaux du quotidien, la réalisation de courses alimentaires et l’accompagnement dans les démarches des seniors bénéficie d’un financement atypique. Fondée par la société Smart Good Things, associée à des professionnels des services à la personne et de la Silver économie, la Smart Good Alliance ne recherche pas de financement public. Elle finance ses service grâce à la consommation courante, avec le concours d'acteurs engagés pour une économie bienveillante.
Concrètement, une partie du chiffre d’affaires réalisé par les partenaires sera reversée afin de financer ce projet social et solidaire. Les enseignes Casino contribueront à la Smart Good Alliance en reversant 12% du chiffre d’affaire de leur site e-commerce www.casino.fr pour financer la conciergerie.
Conscient de ces enjeux, Tony Parker, ambassadeur et actionnaire de Smart Good Things, a immédiatement adhéré à la démarche. Il s’investit personnellement dans ce projet qui lui est cher et auquel il participe notamment par la campagne de communication.
Rendez-vous le mois prochain pour un numéro consacré au Silver tourisme, la Silver économie sous les cocotiers.