Startups de la Silver Économie : Qui est là quand ça va mal ?
Accompagnement des startups de la Silver Économie en difficulté : les réponses de la Banque des Territoires, Future4care et Silver Valley
Dans notre précédent article consacré aux faillites récentes de Coyalli et Collibree, nous avons mis en lumière les défis spécifiques auxquels font face les startups de la Silver Économie.
Le décalage entre le "temps startup" (besoin de validation rapide, contraintes de trésorerie) et le "temps Silver" (cycles de décision longs, maturation lente du marché) apparaît comme l'un des principaux écueils sur lesquels ces jeunes pousses viennent s'échouer.
Mais au-delà du constat, une question demeure : vers qui se tourner quand les difficultés surviennent ?
Les experts qui accompagnent ces startups lors des phases d'amorçage et de lancement peuvent-ils également les soutenir face aux coups durs, aux problèmes de trésorerie ou aux difficultés organisationnelles ?
Pour y répondre, nous avons interrogé trois acteurs clés de l'écosystème d'accompagnement de la Silver Économie.
La Banque des Territoires : quand l'investissement public devient un partenaire stratégique
Interview de François Wohrer, Directeur de l'investissement de la Banque des Territoires
La Banque des Territoires s'impose comme un acteur majeur du financement de la Silver économie en France, avec plus de 360 millions d'euros déjà investis dans le secteur.
À travers sa vision d'investisseur patient et engagé, l'institution accompagne aussi bien des projets immobiliers (EHPAD, résidences services seniors, habitat inclusif) que des entreprises innovantes développant des services pour les seniors.
François Wohrer, Directeur de l'investissement, nous explique comment son institution conjugue exigence économique et compréhension des spécificités temporelles du marché.
L'avenir de la Silver économie nécessite des investisseurs patients et engagés. - François Wohrer
Comment gérez-vous le décalage entre le temps court des startups et le temps long du marché de la Silver économie ?
Cette tension est particulièrement marquée dans la Silver économie pour deux raisons principales. D'une part, les principaux clients sont souvent des grands groupes (mutuelles, assurances) dont les cycles de décision sont très longs. D'autre part, même en B2C, le temps d'adoption par les seniors est naturellement plus étendu - prenez l'exemple de l'habitat inclusif où les décisions de changement ne se prennent pas en quinze jours.
Notre rôle à la Banque des Territoires est justement d'apporter ce "capital patient" dont les entreprises ont besoin. Nos clauses de liquidité vont au-delà de cinq ans, ce qui permet de donner plus de temps aux projets prometteurs. Ce n'est pas pour autant du temps mort : nous restons exigeants sur l'exécution, mais nous comprenons que certains marchés nécessitent une maturation plus longue.
Quelle est la valeur ajoutée d'avoir la Banque des Territoires comme investisseur dans la Silver économie ?
Le marché de la Silver économie est soit très régulé, soit fortement dépendant d'acteurs institutionnels et publics. Avoir la Banque des Territoires à son capital envoie un signal fort : le projet a été audité et validé par un acteur de référence. C'est un élément rassurant pour construire des partenariats et gagner en crédibilité.
De plus, notre approche ne se limite pas à l'investissement financier. Nous avons créé en 2024 le Care Studio, un accélérateur pour accompagner nos participations à travers du coaching et de l'expertise technique.
En 2025, nous allons même plus loin en favorisant les synergies avec les autres entités du groupe Caisse des Dépôts actives dans le secteur, comme Emeis (ex-Orpea), Transdev ou La Poste Santé Autonomie.
Comment abordez-vous la question de l'échec dans l'accompagnement des startups ?
Notre approche est très constructive. Dans notre processus d'investissement, une grande partie de la décision repose sur la qualité des fondateurs. L'expérience compte énormément, y compris les échecs lorsqu'ils sont bien analysés et source d'apprentissage.
Un entrepreneur qui a vécu un échec et sait en tirer les enseignements est souvent plus mature dans sa façon d'aborder les challenges.
Prenez l'exemple du Covid : certaines de nos entreprises ont dû procéder à des restructurations importantes. Si cela peut être vécu comme un échec par les dirigeants, ces périodes sont souvent très formatrices quand elles sont bien accompagnées. Le pilotage de l'entreprise en sort généralement renforcé.
Comment voyez-vous l'avenir de l'habitat inclusif, malgré le retrait de certains départements des appels à projets AVP ?
Je reste optimiste pour plusieurs raisons. D'abord, le modèle économique fonctionne même sans AVP pour une population qui n'est pas nécessairement la plus aisée. Ensuite, nous constatons une réelle appétence des personnes âgées, avec de bons taux d'occupation et des retours très positifs des résidents. Le secteur des résidences services seniors s'intéresse d'ailleurs de plus en plus à ce modèle.
Stratégiquement, l'habitat inclusif s'inscrit parfaitement dans notre vision du parcours résidentiel des seniors. Notre priorité est le maintien à domicile, mais quand celui-ci n'est plus possible, l'habitat inclusif offre une alternative pertinente avant l'EHPAD. C'est une solution intermédiaire qui permet de limiter le recours aux établissements médicalisés au strict nécessaire.
Future4care : bâtir des ponts entre innovation et adoption dans la santé numérique
Interview d’Agnès de Leersnyder, Directrice Générale de Future4care
Au carrefour de la santé et de la technologie, Future4care représente un modèle d'accompagnement complémentaire pour les startups de la Silver Économie développant des solutions numériques.
Fondée en 2021 par Capgemini, Generali, Orange et Sanofi, cette plateforme européenne réunit dans ses 6500 m² parisiens entrepreneurs, grands groupes et experts de santé autour d'un écosystème structuré en trois pôles: un accélérateur de startups, un institut de réflexion et une factory d'open innovation.
Agnès de Leersnyder, sa Directrice Générale, nous explique comment ils favorisent le passage à l'échelle malgré les différences de temporalité du secteur.
"La mise en réseau stratégique est la clé pour surmonter les défis de l'innovation" - Agnes de Leersnyder
Le décalage entre le "temps startup" et le "temps Silver" est souvent mentionné comme un obstacle majeur. Comment les structures d'accompagnement peuvent-elles aider à gérer cette tension ?
Il est vrai qu'il existe un décalage entre le rythme très rapide des startups et celui, plus long, des cycles économiques, financiers et politiques. Je ne pense cependant pas que ce soit propre au marché de la filière Silver ; c'est une réalité plus large que l'on rencontre sur l'ensemble du secteur de la santé.
Chez Future4care, le premier écosystème dédié à la santé numérique d'Europe, nous avons pleinement conscience de cette différence de temporalité entre l'innovation et son adoption.
Notre expertise du secteur et de ses spécificités nous permet d'accompagner les startups dans cette dynamique pour mieux naviguer entre ces rythmes distincts et leur permettre le passage à l'échelle.
Grâce à notre écosystème très riche, nous pouvons également faciliter les mises en relation stratégiques, en les connectant avec des experts, grands groupes et financeurs adaptés qui connaissent et comprennent les enjeux uniques du secteur.
Les entrepreneuses que nous avons interrogées mentionnent une difficulté à identifier les bons interlocuteurs lors des moments critiques. Comment améliorer la lisibilité et l'efficacité du soutien proposé ?
L'un des principaux atouts d'un écosystème d'accompagnement réside, à mon sens, dans sa capacité à rassembler, au sein d'un même lieu, l'ensemble des acteurs clés nécessaires à la structuration et au passage à l'échelle de solutions technologiques innovantes encore émergentes.
Cette mise en réseau permet entres autres de surmonter plus efficacement les divers défis inhérents à l'innovation. C'est pourquoi le choix de son écosystème d'accompagnement est une étape stratégique déterminante.
Par exemple, s'agissant de notre écosystème dédié à la santé numérique, il était essentiel de réunir un panel d'expertises variées mais complémentaires.
Cela inclut des chercheurs, scientifiques, et médecins de grande renommée, capables d'apporter une rigueur scientifique, ainsi que de grands groupes industriels comme des laboratoires pharmaceutiques et des assureurs, indispensables pour structurer des modèles économiques viables et faciliter l'adoption à grande échelle.
Les start-ups, moteur d'innovation et d'agilité, représentent l'ADN même de notre écosystème et les experts Tech jouent également un rôle clé dans le développement et l'optimisation de ces solutions numériques.
L'échec d'une startup est souvent vu comme un stigmate en France. Quelle est votre approche dans vos programmes d'accompagnement ?
L'échec reste en effet un tabou en France, alors que, je le rappelle, sur 10 start-ups crées, il y en a 9 qui échouent. C'est pourquoi, dans nos programmes d'accompagnement, nous aidons les entrepreneurs à transformer chaque difficulté en opportunité.
Grâce à la diversité des acteurs de notre écosystème et des expertises inhérentes, nous les aidons à analyser et comprendre les raisons de l'échec, tirer les enseignements concrets et identifier les opportunités de rebond en multipliant les nouvelles opportunités.
À la lecture des témoignages des entrepreneuses, pourriez-vous nous indiquer un axe d'amélioration dans l'accompagnement que vous apportez ?
Un exemple concret d'axe d'amélioration dans l'accompagnement que nous proposons réside dans le partenariat que nous menons avec France Silver Éco, visant à offrir un accompagnement plus personnalisé et en adéquation avec les besoins spécifiques du marché de la Silver économie.
Ce partenariat a été construit en réponse à un constat : les nouvelles technologies représentent une opportunité majeure pour améliorer la qualité de vie des personnes âgées et de leurs aidants et pour soutenir les professionnels de santé dans un contexte de transition démographique.
Silver Valley : l'expertise sectorielle au service des entrepreneurs en difficulté
Interview de Romain Ganneau, Directeur Général de Silver Valley
Premier pôle d'innovation européen dédié à la longévité, Silver Valley joue un rôle central dans l'écosystème entrepreneurial de la Silver Économie.
Avec près de 300 organisations fédérées et une communauté de 9000 seniors participant activement aux projets d'innovation, cette structure dispose d'une vision panoramique des défis du secteur.
Dans un contexte où 92% des Français de plus de 60 ans sont autonomes et où l'arrivée des baby-boomers dans l'âge de la dépendance est prévue pour 2025, l'accompagnement des startups face aux difficultés devient crucial. Romain Ganneau, Directeur Général de Silver Valley, nous éclaire sur leur approche.
Notre ambition est de construire un écosystème robuste pour la Silver Économie. - Romain Ganneau
Comment aidez-vous les entrepreneurs à gérer le décalage entre le "temps startup" (besoin de validation rapide, contraintes de trésorerie) et le "temps Silver" (cycles de décision longs, maturation lente du marché) ?
Ces problématiques existent dans tous les secteurs économiques. Les contraintes de trésorerie ou le retrait d'investisseurs ne sont pas spécifiques à la Silver Économie.
La particularité du secteur réside dans le nombre d'entrepreneurs qui visent d'abord les marchés subventionnés ou institutionnels. Notre rôle est triple : sensibiliser aux contraintes, travailler avec nos partenaires pour lever certains obstacles, et montrer qu'il existe d'autres marchés à explorer au-delà du cadre institutionnel.
Comment aidez-vous les entrepreneurs à identifier les bons interlocuteurs dans un écosystème aussi complexe ?
Ce défi est amplifié par la complexité du secteur et l'émiettement des financements. Un accompagnement généraliste ne suffit pas dans le domaine de la transition démographique. Il faut connaître finement chaque segment. Dans la protection sociale et l'assurance, la diversité des acteurs crée souvent de la confusion.
Nous travaillons étroitement avec les gérontopôles en croisant nos expertises. Nous orientons régulièrement des porteurs vers ces structures et réciproquement. Notre valeur ajoutée est d'identifier les programmes d'accompagnement adaptés à la maturité de chaque projet.
Quelle place accordez-vous à l'échec dans votre approche d'accompagnement ?
La culture française évolue sur ce sujet. En 2018, nous avions organisé une soirée où des entrepreneurs témoignaient de leurs échecs. L'initiative avait été très bien accueillie.
Les échecs sont des sources d'apprentissage. Nous les intégrons dans notre accompagnement individuel et nos actions collectives. Après 2000 projets suivis, nous identifions mieux ce qui relève de la conjoncture, de la structure du projet ou des spécificités sectorielles. En 2024, nous avons repéré trois difficultés récurrentes pour lesquelles nous développons des accompagnements dédiés.
Comment contribuez-vous à faire évoluer l'écosystème de la Silver Économie dans son ensemble ?
Les ponts entre acteurs sont désormais établis. Clusters, gérontopôles et collectivités locales collaborent efficacement.
Notre priorité actuelle est de connecter offres et demandes avec une triple expertise : innovation, entrepreneuriat et Silver Économie. Nous dépassons les effets de mode pour sensibiliser les institutionnels à l'analyse de robustesse des projets. Nous accompagnons aussi l'arrivée d'acteurs généralistes qui ont besoin de comprendre les spécificités du secteur et d'accéder à un réseau qualifié.
Comment envisagez-vous l'avenir de la Silver Économie ?
Nous voulons dépasser les discours généralistes sur le vieillissement pour promouvoir un entrepreneuriat à impact social économiquement viable.
L'accompagnement, même expert, ne donne pas que des clés de réussite. Chaque projet reste soumis aux contraintes de temporalité, de marché et de concurrence.
Pour maximiser les chances de succès, nous proposons aux innovateurs de comprendre la transition démographique et de rencontrer directement les seniors et leurs aidants.
Il est important de noter que seulement 50% des projets que nous suivons viennent de startups. Les autres sont portés par des PME, ETI, grands groupes ou institutions. Notre objectif est de sortir du mythe des "licornes de la Silver Économie" pour construire des entreprises solides.
La réussite dans ce secteur passe par un retour aux fondamentaux : prouver la robustesse du modèle, bien définir le problème à résoudre et comprendre précisément le marché adressable.
Conclusion : vers un accompagnement plus intégré et réactif
À travers ces trois entretiens, plusieurs constantes émergent. D'abord, le décalage temporel entre les cycles de développement des startups et la maturation du marché de la Silver Économie n'est pas une fatalité, mais nécessite un accompagnement spécifique.
La Banque des Territoires y répond par un "capital patient", tandis que Silver Valley et Future4care mettent l'accent sur la compréhension fine des mécanismes sectoriels et la diversification des marchés cibles.
Ensuite, la question de l'échec apparaît comme un enjeu culturel en voie d'évolution. Les trois structures interrogées intègrent désormais cette dimension dans leur accompagnement, reconnaissant la valeur de l'expérience acquise et la possibilité d'en tirer des enseignements précieux.
Enfin, l'avenir de la Silver Économie semble passer par une approche plus collaborative et transversale. La mise en réseau stratégique entre différents écosystèmes, comme l'illustre le partenariat entre Future4care et France Silver Éco, pourrait offrir aux startups en difficulté un filet de sécurité plus robuste et réactif.
Pour les entrepreneurs qui s'aventurent dans la Silver Économie, le message est clair : choisir son écosystème d'accompagnement est une décision stratégique qui doit intégrer non seulement le soutien pendant les phases de croissance, mais aussi l'assistance potentielle en cas de difficultés.
La construction d'un réseau diversifié d'interlocuteurs et une compréhension réaliste des temporalités du marché demeurent les meilleurs atouts pour traverser les inévitables zones de turbulence.