Pourquoi la Silver économie manque-t-elle d'une vision globale ?
La filière Silver économie doit attirer des généralistes et ne pas se confiner dans le pré-carré des spécialistes du Grand Âge. Avec Anne-Sophie Perrissin-Fabert et Romain Ganneau
Nous avons réalisé un livre blanc de la Silver économie bâti sur notre cartographie de l’écosystème. En analysant ce livre blanc, en parcourant la liste des 300 entreprises qui ont servi de support à nos analyses, une vérité nous a sauté aux yeux.
Cette cartographie représente une partie de l’offre.
Elle est intéressante.
Son analyse nous communique des informations utiles pour comprendre les dynamiques. Mais pourquoi la vision « panoramique » et intégrée portée par la filière ne se concrétise pas dans le marché ?
Peut-être qu’il manque à la Silver économie une vision globale.
Ce que la cartographie présente, ce sont les organismes qui ont développé une réponse à un problème rencontré par la personne âgée. Des pure players.
Les pure players
Les précurseurs
Certains ont lancé leur projet sur un marché bien balisé, comme la téléassistance, les Ehpad ou les services à la personne. Ils ont pu bénéficier d’une réglementation claire. Se faire aider par des fédérations professionnelles. Se faire aisément comprendre par des pouvoirs publics.
Leur projet n’est pas facile tous les jours, les seniors étant un public complexe, surtout sur le marché des consommateurs (le B2C), mais au moins ces organismes se sont-ils implantés dans un cadre connu. Un cadre contemporain de la création de la filière Silver économie, en 2013.
Depuis 2013, le marché́ de la Silver économie a glissé́ de la dépendance vers une mise en avant du vieillissement actif, avec une attention croissante portée aux aidants. Cette mue a enrichi l’éventail de produits et de services répondant aux besoins des seniors. (Romain Ganneau - Livre Blanc 2023)
Les nouveaux entrants
D’autres ont lancé un projet après 2013. Ils ont entendu l’appel des pouvoirs publics, lu le contrat de filière, découvert les enjeux et perspectives à travers l’une des nombreuses études et rapports publiés chaque année sur le sujet. Ou bien, ils ont détecté une faille, une insuffisance dans l’offre historique. Et ils cherchent à la résoudre.
Ces nouveaux entrants sont aussi des pure players de la Silver économie. Certains se sont lancés dans le champ balisé d’avant 2013, mais une majorité a souhaité adopter une approche innovante en développant une offre concurrente, mais hors des sentiers battus par le législateur.
Au lieu de la téléassistance, ils ont lancé des détecteurs de chute, comme Telegrafik.
Au lieu de l’Ehpad, ils ont ouvert des colocations pour malades d’Alzheimer, comme La Maison des Sages.
Au lieu d’un SAAD, ils ont créé un service de garde de nuit réalisé par des étudiants en médecine, comme Ernesti.
Ils ont essuyé les plâtres, bataillé avec une législation peu arrangeante et dû persuader des pouvoirs publics qui ne veulent pas entendre parler de projets “hors la loi”.
Une nouvelle vague d’entrepreneurs, fusionnant les codes de l’économie sociale avec ceux des écoles de commerce, s’est enlevée. Ils conçoivent des solutions tout en maîtrisant les rouages financiers. Toutefois, une compréhension approfondie du modèle économique de leur marché peut parfois faire défaut. (Romain Ganneau - Livre Blanc 2023)
Ce qui les rassemble
Ce sont tous des pure players dont le point commun est de chercher à résoudre un problème lié au vieillissement de la personne.
Ce sont eux que nous analysons dans le livre blanc 2023. Ce sont les acteurs actuels de la Silver économie.
Mais malgré leurs qualités, leur audace et malgré la croissance de ce marché, l’activité économique des pure players ne suffit pas à atteindre les 130 milliards d’euros évalués par BPI en 2016.
Les 130 milliards de BPI
En janvier 2016, BPI publie une étude prospective qui évalue à 130 milliards d’euros le chiffre d’affaires global de la Silver économie à horizon 2030.
La Silver économie apparaît comme un marché à fort potentiel estimé à 0,25 point de PIB par an et à 93 milliards d’euros qui atteindront 130 milliards en 2030. (BPI - janvier 2016)
L’argumentaire est connu : au contraire des autres filières industrielles comme aéronautique ou l’automobile, la filière économie est large puisqu’elle englobe toute la consommation.
Il suffit qu’une personne de 65 ans achète un yaourt au supermarché pour que le producteur de lait, le fabricant du dessert et le distributeur entrent dans le champ de la Silver économie.
À ce rythme-là, le pactole est vite atteint !
La plupart des solutions numériques et domotiques nécessaires pour adapter le logement des seniors figurent dans les catalogues de produits destinés à tous et non pas dans les catalogues spécialisés en Silver économie. Elles sont utiles notamment pour répondre aux enjeux de sécurité, de transition énergétique ou numérique. (Anne-Sophie Perrissin-Fabert, Directrice Générale d’Ignes)1
À condition que les marques sachent s’adapter aux besoins spécifiques de ces clients (les seniors). Et c’est justement à cette adaptation que la filière voudrait tendre, espérant donc que les acteurs “généralistes” rejoindront les pure players afin de travailler de concert à l’adaptation de la société au vieillissement.
Mais ces marques qui manquent à l’appel de notre cartographie, qui sont-elles et comment les identifier ?
L’approche par les besoins
Tandis que la Silver économie pure player cherche à résoudre les problèmes et situations liés au vieillissement, les généralistes partent d’un besoin client dont la pratique est transformée par le vieillissement.
Un constructeur automobile devra adapter son habitacle.
Un distributeur d’eau minérale devra transformer son système d’ouverture.
Un chausseur devra tenir compte des spécificités de ses clients âgés.
etc.
Les arbitrages
Une marque généraliste dont la clientèle vieillit est confrontée à un arbitrage entre plusieurs possibilités :
#1 Elle peut adapter toute sa gamme, afin de répondre aux besoins spécifiques des seniors sans les stigmatiser en développant une offre spécifique.
Exemple : un constructeur automobile va adapter l’habitacle de ses berlines à ses clients âgés, sachant qu’ils représentent plus de la moitié des utilisateurs. Les berlines seront senior friendly, que l’acheteur soit ou non un senior.
En l’espèce, les constructeurs automobiles se mentent à eux-mêmes s’ils continuent de promouvoir leurs véhicules auprès des trentenaires alors que leurs acheteurs ont en moyenne 56 ans2. À moins qu’ils estiment que ces acheteurs quinquagénaires sont plus séduits par l’achat d’une voiture « de jeune » ?
#2 Elle peut développer une offre spécifique pour les seniors, à condition que cette création soit acceptée par sa clientèle âgée qui ne la considère pas comme un produit “pour vieux”
Exemple : un assureur qui développe une offre pour les personnes âgées, en adaptant les prestations aux besoins spécifiques de ces publics.
#3 Elle peut conserver son offre générique, mais créer un support client spécifique adapté aux exigences ou aux habitudes de communication exprimées par ses clients âgés
Exemple : une banque qui conserverait un canal de communication téléphonique ou des agences dans certains quartiers.
Ces trois secteurs économiques sont concernés par le vieillissement de leur clientèle. Ils doivent adapter leur offre, mais rares sont ceux qui considèrent “faire de la Silver économie”.
Cet angle mort explique que bientôt huit ans après l’annonce tonitruante de BPI, le compte n’y est pas.
Certes, les seniors achètent des yaourts, des berlines et souscrivent à des mutuelles adaptées, mais peut-on considérer que ces produits et services entrent dans le champ de la Silver économie ?
Le sous-entendu à la question est : si ces acteurs font partie de la Silver économie, pourquoi diantre ne participent-ils pas à nos réflexions, nos événements, nos rencontres ?
Et s’ils le faisaient qu’est-ce que cela changerait pour nous ?
À quoi bon ?
Quel intérêt aurions-nous, filière et pure players de la Silver économie, à partager nos réflexions avec des entreprises mainstream qui se considèrent comme membres de la Silver économie ?
L'inclusion d'entreprises généralistes au sein de la filière offre plusieurs avantages significatifs :
Innovation croisée : Les entreprises généralistes apportent une perspective extérieure et peuvent favoriser l'innovation croisée, en introduisant de nouvelles idées et technologies qui peuvent être adaptées à nos contextes.
Diversification des solutions : Par exemple, les constructeurs automobiles peuvent proposer des solutions de transport adaptées, les acteurs du digital peuvent offrir des outils pour améliorer la communication et la gestion interne, et les banques peuvent présenter des produits financiers spécifiques pour les résidents et les établissements.
Élargissement des réseaux : Les entreprises généralistes peuvent introduire des pure players dans des réseaux professionnels et commerciaux plus larges, augmentant les opportunités de partenariats stratégiques.
Stimulation économique : L'association avec de grandes entreprises peut conduire à des investissements dans le secteur occupé par les pure players, ce qui peut stimuler l'économie locale et créer de nouvelles opportunités d'emploi.
Partage d'expertise : Les entreprises généralistes peuvent partager leur expertise en matière de gestion, de marketing, et de service client, ce qui peut aider les pure players à améliorer leurs opérations.
Amélioration de la qualité de vie des résidents : Par exemple, les acteurs de la grande distribution peuvent fournir des biens et services adaptés aux besoins spécifiques des résidents des EHPAD, contribuant ainsi à améliorer leur qualité de vie.
Responsabilité sociale et image de marque : L'engagement des entreprises généralistes auprès des pure players peut améliorer leur image de marque et renforcer leur responsabilité sociale d'entreprise.
Pouvoir de négociation : Une filière plus diversifiée et plus large peut avoir un pouvoir de négociation plus important auprès des fournisseurs, des partenaires et des instances gouvernementales.
Échanges de bonnes pratiques : Les entreprises de différents secteurs peuvent échanger sur leurs bonnes pratiques respectives, contribuant à l'amélioration continue des services et de l’innovation chez les pure players.
Compréhension des consommateurs : La collaboration avec des entreprises généralistes donne aux pure players une meilleure compréhension des tendances de consommation et des comportements des seniors, ce qui est essentiel pour adapter et personnaliser leurs services.
Conclusion
L'ouverture de la filière à des entreprises généralistes peut être mutuellement bénéfique, en apportant des perspectives nouvelles, des compétences complémentaires et en créant un écosystème plus riche pour l'innovation et la collaboration.
C’est à cela que nous aspirons avec le livre blanc 2023, et plus largement dans le cadre du nouveau contrat de filière. Ouvrir le champ des possibles en partant d’un constat lucide sur le marché aujourd’hui et ses perspectives pour demain.
Nous le publions dans les jours qui viennent et nous pourrons vous le présenter dans notre numéro de décembre 2023.
Ignes est une alliance industrielle qui propose des solutions électriques et numériques pour donner vie et animer le bâtiment au service de ses occupants. La citation de Mme Perrissin-Fabert est empruntée au colloque Ma PrimeAdapt’ du 9 novembre 2023.
L'âge moyen des acheteurs de berlines et de voitures en général a été l'objet d'études de la part de diverses organisations, qui offrent un aperçu de la démographie des acheteurs d'automobiles. Selon Hedges & Company, l'âge moyen des acheteurs de voitures ou de camions neufs a augmenté au cours de la dernière décennie pour atteindre environ 53 ans. Cette augmentation de l'âge correspond à une autre de leurs découvertes selon laquelle l'âge moyen des acheteurs de véhicules neufs a augmenté de près de sept ans entre 2000 et 2015.
Spécifiquement pour les berlines, une enquête de Statista de 2019 a révélé que 51 pour cent des acheteurs de berlines neuves aux États-Unis étaient dans le groupe d'âge de 24 à 54 ans. Cela suggère une large gamme d'âges intéressés par l'achat de berlines. Cependant, une étude de Sivak a noté que la majorité des acheteurs de véhicules en 2007 étaient âgés de 35 à 54 ans, mais qu'en 2017, la majorité avait basculé vers ceux âgés de 55 ans et plus, indiquant une tendance vers un démographique d'acheteurs plus âgés pour les véhicules en général.