Silver Belgique 🇧🇪
Silver économie en Belgique | 8 dataviz | 3 interviews : Dirk Schyvinck (Birdhouse), Eric Krzeslo (Mintt), Alain Legros (Vestalia).
La France n’a pas le monopole du vieillissement de la population. Le phénomène est mondial. En 2050, les plus de 65 ans représenteront près de 40 % de la population en Europe.
Des cohortes de retraités dépendront d'un nombre décroissant d'actifs pour les soutenir. Dans toute l'histoire de l’humanité, aucun pays n'a jamais été aussi vieux que ceux qui sont censés le devenir.
Des acquis comme les retraites, les politiques migratoires ou la couverture santé seront remis en question. Les pays riches d'aujourd'hui contribueront moins au PIB mondial, selon les économistes.
C'est un grand changement pour l'Europe, les États-Unis, la Chine et d'autres pays développés avec beaucoup de travailleurs. Ces pays bénéficiaient des plus grandes populations d'actifs. Ce qui a contribué à leur croissance économique.
Ils doivent à présent s'adapter au départ en retraite de ces actifs.
Chaque pays devrait prévoir comment aider ses résidents à faire face aux effets du vieillissement en mettant en place des systèmes simples et pratiques pour les soins préventifs et curatifs.
Ces systèmes devraient couvrir tous les aspects de la vie. Vie des citoyens, vie de la nation et de toutes ses composantes.
Un temps d’avance, un modèle à suivre ?
Dans ce domaine, notre pays a été précurseur. En 2013, nous avons créé une filière industrielle Silver économie. Elle est dédiée au développement économique du secteur du grand âge. Et en 2015, nous avons adopté une loi dite d’adaptation de la société au vieillissement.
Observé avec intérêt par nos voisins, cette option de la filière industrielle Silver économie n’a pas été reprise. Ni eu Europe, ni ailleurs.
Certes, nos voisins se sont approprié le terme “Silver économie” pour désigner des initiatives ou des stratégies, mais ils ne le font pas dans un cadre aussi structuré que la France.
Dix ans après le lancement de la filière française, nous pensons qu’il serait intéressant de tourner notre regard vers l’Europe et nos voisins étrangers. Afin de comprendre comment ils appréhendent la situation, comment ils s’y adaptent. Mais aussi de voir si notre modèle les inspire. Et comment nous pourrions travailler plus efficacement en collaboration sur ces sujets.
Et comme il fallait bien commencer quelque part, nous avons porté notre regard sur la Belgique.
Qu’allez-vous trouver dans ce dossier
Nous avons donné la parole à trois acteurs Belges actifs dans le domaine du grand âge.
Dirk Schyvinck, 65 ans, est un expert en marketing. Il a travaillé dans différents domaines tels que la banque, les assurances, l'automobile et les médias. Auteur d'un essai sur un futur avec des centenaires, il est associé à l'accélérateur Birdhouse pour soutenir les start-up "agetech". Dans son interview, Dirk partage ses observations sur la Silver économie en Belgique. Il met en avant le potentiel de Bruxelles en tant que hub européen. Il explique le rôle de Birdhouse dans l'encouragement de l'innovation dans ce secteur. Enfin, il souligne la nécessité d'une Silver économie européenne cohérente.
Eric Krzeslo, PDG de Mintt, pilote une solution technologique prévenant les chutes. Leader en Belgique, Mintt est en croissance rapide en Europe. Eric possède une vision claire du marché belge et européen, mettant en avant une stratégie adaptative. Dans son interview, il explique pourquoi il pense la Silver économie à l'international.
Alain Legros, agit depuis plus de 27 ans pour l'inclusion des personnes âgées et handicapées. Dans notre interview, il met en avant l'importance d'un nouveau paradigme pour répondre aux défis du vieillissement. Il dresse aussi un panorama des spécificités belges, prenant comme exemple la téléassistance. Il plaide pour une proposition résidentielle réinventée, centrée sur la communauté et intergénérationnelle.
En conclusion du dossier, nous vous demandons votre avis sur ce nouveau format. Nous vous interrogeons aussi sur les pays qui pourraient faire l'objet d'une analyse.
Présentation du pays
Source : France Diplomatie
Données générales
Nom officiel : Royaume de Belgique
Nature du régime : État fédéral – monarchie constitutionnelle
Chef de l’État : Sa Majesté le Roi Philippe Ier (depuis le 21 juillet 2013)
Chef du gouvernement : M. Alexander De Croo (Open VLD – parti libéral flamand) depuis le 1er octobre 2020)
Données géographiques
Superficie : 30 688 km2
Capitale : Bruxelles (188 727 hab. au 1er janvier 2022 ; La région Bruxelles Capitale comptait 1 222 637 habitants au 1er janvier 2022)
Villes principales : Anvers (530 630 hab.), Gand (265 090 hab.), Charleroi (202 420 hab.), Liège (195 280 hab.)
Langues officielles : français, néerlandais, allemand
Monnaie : euro
Données démographiques
Population : 11 584 008 (1er janvier 2022)
Densité : 377hab. /km2
Croissance démographique : 0,54 % / an en 2022
Espérance de vie : 81,7 ans (2021)
Taux d’alphabétisation : 99 %
Indice de développement humain : 0,937/1 (Rapport PNUD 2021) ; 13e rang
Cartographies de la longévité en Belgique
7 dataviz pour cerner le paysage Belge de la longévité. Sources : OMS et Eurostat.
Interview de Dirk Schyvinck
Âgé de 65 ans Dirk Schyvinck est un professionnel du marketing. Il a travaillé pour divers secteurs, notamment les banques, les assurances, l'automobile et les médias. En 2017, sensibilisé aux enjeux du vieillissement, il publie “Wat als we straks 100 worden ?” en un essai où il s’interroge sur un monde de centenaires. À la même époque il entame une collaboration avec l’accélérateur Birdhouse et développe une branche consacrée à l’accompagnement des start-up agetech. Belge, Européen et militant du bien vieillir, Dirk nous explique comment on vit la Silver économie en Belgique, pourquoi le sujet devrait devenir Européen et quels rôles les accélérateurs comme Birdhouse peuvent jouer dans l’écosystème.
Peut-on dire qu’il y a une Silver économie en Belgique ?
Dès 2015, en parcourant la Belgique, j'ai engagé des discussions avec des acteurs clés, du Nord en Flandre, au Sud francophone, en passant par Bruxelles, cette ville particulière presque une entité à part, jouant un rôle central dans la dynamique du pays. Tous convergeaient sur un point : le vieillissement de la population.
Bruxelles, où j'ai travaillé pendant presque 30 ans, m'a fait réaliser une chose importante : "Bruxelles n'existe pas sans l'Europe". Cette ville, fortement influencée par l'Europe, présente une culture très internationale, se sentant davantage européenne par rapport à d'autres pays.
Oui, la Belgique avait une Silver Économie, mais elle manquait d'une culture d'innovation, spécialement dans un pays avec une telle diversité culturelle et géographique. C'est dans ce cadre que j'ai pris contact avec Birdhouse. Ayant un partenariat avec une banque où j'ai œuvré, et connaissant Jan-Willem , le CEO de Birdhouse, j'ai pu partager mes préoccupations et idées. En dépit d'un auditoire majoritairement jeune, ma réputation en tant qu'innovateur a prévalu. À la suite d’une étude, nous avons envisagé un programme d'accélérateur pour la Silver Économie belge, les données européennes attestant de cette nécessité.
Quel rôle joue Birdhouse dans le développement d’une culture de l’innovation en Silver économie ?
Depuis mes débuts avec Birdhouse, j'ai compris que son orientation n'était pas seulement vers les start-up belges. La Belgique, riche de sa proximité avec la Commission et le Parlement européens, infuse une culture fortement européenne. Pourtant, malgré cette identité européenne, le pays se distingue par son tissu économique dominé par les PME et non les multinationales. Les domaines de la santé, notamment avec Pfizer et Johnson & Johnson, sont des spécialités belges, renforcées par l'innovation néerlandaise voisine en matière de Health Care.
La culture internationale belge, une combinaison d'influences nordiques et sudistes, a vite orienté Birdhouse vers une perspective Européenne, voire mondiale. Nombre de nos start-up Européennes et scale-ups visaient d'emblée les États-Unis, perçus comme un marché plus large que la Belgique. Cette internationalisation a été renforcée par notre bilinguisme naturel, attirant des start-up de divers horizons. Nos institutions éducatives de renom, comme l'Université de Louvain, ont aussi joué un rôle en formant des fondateurs compétents.
Face à l'émergence de la Silver économie, l'accent mis sur l'innovation s'est imposé. Plutôt que de créer un vaste écosystème intégrant recherche, universités et politiques, nous avons opté pour une approche ciblée : soutenir directement les start-up. Cela nous a permis d'évoluer rapidement sans les contraintes d'une grande organisation. Nos événements, comme le Agetech Meetup Night, ont rapidement gagné en popularité internationale, démontrant le potentiel inexploité de l'innovation européenne en matière d'agetech. Lors d'un tel événement, la rencontre entre les dirigeants de Colette, Marta Rest Less et les fondateurs de Papa ont révélé la méconnaissance mutuelle des acteurs de cette scène innovante en Europe, une surprise pour beaucoup.
Quelle est la différence entre agetech et Silver économie ?
Au sein de Birdhouse, nous avons décidé de focaliser notre discours sur le terme "agetech" plutôt que "Silver Economy".
En tant que programme d'accélérateur avec des investisseurs, il est essentiel de parler en termes technologiques. En mentionnant "tech", nous rendons notre approche plus attrayante pour eux.
Bien que je sois convaincu du potentiel inhérent à la longévité, l'étendue du sujet s'avère trop vaste pour notre programme. Nous avons tenté d'intégrer des start-up axées sur la longévité, mais nous nous sommes vite retrouvés face à des propositions de biotechnologies et medtech. Or, notre expertise ne se situe pas là. Nous avons choisi de nous centrer sur le croisement entre vieillissement et technologie, d'où le choix du terme "agetech".
Quelles sont les forces et faiblesses du marché Belge pour des entreprises souhaitant se développer sur le marché intérieur européen ?
La Belgique, en dépit de sa petite taille, a toujours été perçue comme un excellent marché test pour les grandes marques, en particulier celles associées à la Silver Economy. Sa diversité culturelle, avec la présence de cultures flamande, wallonne et même allemande, sans oublier la capitale cosmopolite qu'est Bruxelles, en fait un miroir représentatif de l'Europe dans son ensemble. Si une marque parvient à s'établir en Belgique, il y a de fortes chances qu'elle réussisse ailleurs.
L'ouverture caractéristique du pays à la nouveauté se traduit également par sa réceptivité aux pilotes et tests de produits. Grâce à sa taille modeste, tester un produit sur l'ensemble du territoire belge est plus aisé qu'ailleurs.
Cependant, cette taille réduite a aussi ses limites. Nos scale-ups emblématiques, comme Nobi et Cubigo, ont rapidement élargi leur regard vers des marchés plus vastes comme le Royaume-Uni et les États-Unis. Elles considéraient le marché belge comme un bon point de départ, mais trop restreint pour leurs ambitions à long terme. C'est une mentalité que l'on retrouve également chez nos voisins néerlandais : si le marché local est jugé trop exigu, la solution est de s'expatrier.
Cette approche contraste nettement avec celle adoptée par certains pays, en étant un exemple, où une certaine volonté de protéger et de privilégier l'innovation nationale est palpable. En Belgique, la tendance est plutôt à l'ouverture et à l'internationalisation dès que cela est possible. La modération belge n'est pas un signe de faiblesse, mais plutôt une invitation à viser plus grand et plus loin.
Quels sont les enjeux et freins à l’internationalisation des projets agetech
La plupart des start-up de notre programme ont une ambition résolument internationale, aspirant à s'étendre rapidement même si elles débutent par des partenariats régionaux.
Toutefois, le domaine de la santé en Europe présente un défi de taille : la réglementation n'est pas unifiée au niveau continental, mais est spécifique à chaque pays. Cette fragmentation oblige les entreprises à s'adapter à un éventail complexe de règles et de directives lorsqu'elles envisagent une expansion à l'échelle européenne.
Cela étant dit, face à cette complexité réglementaire en Europe, il pourrait être judicieux pour certaines start-up d'envisager d'autres marchés, comme les États-Unis ou L’Amérique du Sud, qui pourraient offrir un cadre plus propice.
Néanmoins, avant de se lancer à l'international, il est essentiel de s'assurer du succès et de la viabilité du projet à l'échelle locale. Cette première réussite locale est la fondation sur laquelle une expansion internationale réussie peut être construite.
Faut-il créer une Silver économie européenne ?
La prise de conscience sur la Silver Économie est bien présente en Europe, mais sa mise en œuvre est fragmentée. Chaque pays a le choix de collaborer ou non sur des programmes européens, ce qui conduit à des initiatives parfois limitées à quelques nations. Bien que l'Europe vieillisse et que ce marché soit vaste, il n'a jamais été abordé de manière unifiée à l'échelle continentale.
Diverses organisations émergent dans des pays comme la France, l'Italie et l'Espagne. Il est essentiel qu'elles travaillent ensemble pour assurer une approche cohérente. Toutefois, contrairement à une approche d'accélérateur rapide et ciblée, les discussions européennes ont souvent trop de parties prenantes, ce qui ralentit les progrès.
Il y a un besoin pressant de jeunes innovateurs dans ce domaine. De nombreuses start-up reconnaissent le potentiel du marché, mais manquent d'une vision unifiée à l'échelle européenne. La clé est de trouver un équilibre entre une approche écosystémique globale et une focalisation accélérée.
En conclusion, bien qu'une organisation européenne dédiée à la Silver Économie soit bénéfique pour tous, y compris pour Birdhouse, ce n'est pas le rôle de Birdhouse de la mettre en place.
Interview de Eric Krzeslo
Pour commencer, Eric, est-ce que vous pouvez vous présenter et présenter Mintt ?
Eric Krzeslo : Oui. Je m'appelle Eric Krzeslo, je suis le PDG de Mintt, une entreprise qui développe et commercialise une solution innovante pour la prévention et la détection des chutes en milieu hospitalier, en EHPAD, en résidence services, et bientôt également pour le domicile.
Nous adoptons une approche technologique en privilégiant de nouveaux dispositifs tels que les capteurs 3D et l'intelligence artificielle afin d'offrir une solution la plus confortable possible pour l'utilisateur.
Notre objectif est bien entendu d'avoir une solution la plus efficace en termes de détection et de réduction des faux positifs, ainsi qu'une meilleure compréhension de la problématique des chutes.
Notre solution est sur le marché depuis un peu moins de cinq ans maintenant. Nous sommes leaders en Belgique et connaissant un développement rapide en France, aux Pays-Bas, au Luxembourg ainsi que dans d'autres pays limitrophes. Nous sommes également en cours de développement en dehors de l'Europe, en Amérique du Nord et en Australie.
Quel est le bénéfice de Mintt pour vos clients ?
Eric Krzeslo : Mintt permet aux soignants et aux aidants proches d'agir concrètement pour prévenir les prochaines chutes ou améliorer les conditions de vie. De plus, notre solution vise à faciliter le travail des soignants à l'hôpital ou en maison de repos. Cette problématique de pénurie de personnel est mondiale, pas seulement belge, française ou européenne, et elle ne cesse de s'aggraver, notamment avec l'impact du Covid.
Il est donc primordial d'avoir un outil conçu spécifiquement pour les soignants, afin de réduire leur charge administrative, leur stress et d'augmenter leur efficacité dans la prise en charge des personnes et la compréhension des situations.
Quand vous vous êtes lancé il y a cinq ans, vous aviez des concurrents sur le marché belge ?
Eric Krzeslo : D'abord, qu'est-ce qu'un concurrent pour nous ? Nous ne considérons pas spécialement les solutions portées comme des bracelets, pendentifs ou détecteurs dans le sol comme des concurrents, car ils ont d'autres utilisations et objectifs. En revanche, en ce qui concerne les solutions non portées, telles que les capteurs externes comme les images ou les radars, nous avons effectivement quelques concurrents.
Certains de ces concurrents sont belges. Nous avons identifié une poignée de concurrents aux États-Unis. En Asie, nous n'avons pas encore vu de solution de ce type réellement déployée.
Quelle est votre stratégie de déploiement ?
Eric Krzeslo : Notre stratégie consiste à nous déployer progressivement depuis l'environnement le plus médicalisé vers le moins médicalisé. Cela signifie que nous commençons par l'hôpital, puis nous nous étendons aux établissements médicalisés, aux établissements non médicalisés, aux résidences de service et enfin au domicile, qui est l'environnement le moins médicalisé.
Nous avons suivi cette approche pour différentes raisons. Tout d'abord, pour garantir la qualité du produit et sa qualification. Nous avons également évalué son adaptation à l'environnement professionnel, ainsi que la pertinence de ses fonctionnalités et de son mode de fonctionnement. Nous avons progressivement évolué d'un environnement réglementé et standardisé vers un environnement réglementé différemment et moins standardisé, avec moins d'encadrement médical.
Cette stratégie est adaptée au marché belge, mais elle est compatible aux marchés français et européens. En effet, la prévention n'est pas bien considérée dans les stratégies de soins de santé publiques. Par ailleurs, l'innovation est davantage encouragée dans les hôpitaux que dans les maisons de repos et les EHPAD.
Nous pensons que la prévention devrait constituer le point de départ des investissements dans ce domaine et c’est la thèse que nous défendons.
Quelle est l’ambition de Mintt en termes de développement géographique ?
Eric Krzeslo : L'ambition de Mintt, c'est clairement d'être totalement international. Il se fait qu'en effet, le point de départ en Belgique, Pour les premiers déploiements, finalement, il y a un marché, donc autant l'exploiter. Par rapport à la France, le fait d'être belge ne pose en tout cas, jusqu'à présent, aucun problème. Je dirais peut-être même que c'est plutôt un avantage.
Est-ce que la taille de leur marché national incite les entreprises belges à envisager l’internationalisation plus tôt que les Françaises ?
Eric Krzeslo : Oui, tout à fait. Cependant, c'est un marché très restreint, six fois plus petit que la France. Il est complexe en raison de la présence de trois régions, de deux ou trois langues et de différentes réglementations régionales. Malgré ou à cause de cette complexité, les entreprises belges ont naturellement tendance à chercher à s'internationaliser. Lorsqu'on évolue dans un marché unique ou unifié qui est suffisamment grand, l'intérêt n'est pas évident.
Par exemple, nos concurrents américains cherchent à occuper leur marché national et ne s’intéressent pas à l’Europe. Au niveau international, les acteurs qui viennent de petits pays, comme les Israéliens et les Néerlandais sont comme les Belges. Ils se tournent rapidement vers l'international en raison de la taille réduite de leur marché domestique. En revanche, les entreprises françaises bénéficient déjà d'un marché important, tout comme les entreprises allemandes. En principe, elles peuvent réussir à se développer uniquement sur leur territoire.
Qu’est-ce qui vous a décidés à attaquer le marché Américain ?
Eric Krzeslo : Premièrement, aujourd'hui, nous sommes très actifs en Europe, toujours. Nous ne laissons absolument pas tomber ce marché, contrairement à certains de nos concurrents qui abandonnent l'Europe. En ce qui concerne les États-Unis, il y a trois choses à considérer. La plus importante est que notre produit et notre organisation sont conçus pour être internationaux. Lorsque nous nous implantons en Belgique, en France, à Dubaï ou aux États-Unis, c'est exactement la même chose pour nous, car il s'agit d'un dispositif basé sur le cloud. La problématique est la même, la présence est la même. Bien sûr, l'environnement réglementaire n'est pas forcément le même et la tarification diffère également. Mais par nature, Mintt est conçu pour être international.
Deuxièmement, nous recevons des demandes entrantes de ces pays, donc nous ne nous privons pas d'y répondre. Cependant, attaquer le marché Américain est un projet d’ampleur. Pour le moment, nous en réalisons l’étude, nous n’avons pas encore déployé une activité similaire à l’Europe.
Quelle est LA chose que vous devrez faire différemment pour réussir votre implantation en Amérique du Nord ?
Eric Krzeslo : Il y a une chose qui nous paraît totalement évidente, c'est que le jour où on décide de développer activement ce marché, il faut développer une équipe locale. Il faut une présence.
Ce n’est pas nécessaire pour l’Europe ? Vous pilotez l'activité européenne depuis la Belgique ?
Eric Krzeslo : Oui, c'est partiellement vrai. En effet, l'Europe présente des avantages en termes de réglementation et de l'euro. Cependant, entre la Belgique, le Luxembourg et la France, bien que ce ne soit pas le même pays, il y a une certaine proximité.
Les pays nordiques ne posent pas non plus de problème culturel pour un Belge. La Belgique bénéficie de l'avantage d'être située entre le Nord et le Sud. Ainsi, pour ces régions, une gestion à distance est tout à fait possible.
En revanche, pour des pays plus au Sud tels que l'Espagne, l'Italie ou la Grèce, une présence locale serait utile. Cependant, jusqu'à présent, cela ne s'est pas avéré indispensable pour nous. Une particularité de notre approche est que nous travaillons en direct, sans intermédiaires tels que des distributeurs ou des intégrateurs.
En limitant les intermédiaires, nous parvenons à établir des relations de confiance forte avec nos utilisateurs finaux, quelle que soit leur nationalité.
Interview de Alain Legros
Fondée en 2010, BALDER CONSULTING s’appuie sur plus de vingt-sept ans d’expérience de son administrateur délégué, Alain Legros. Directeur général de la Résidence Lennox (service résidentiel adulte handicap sévère). Président de deux Fondations d’Utilité Publique, Alain Legros est également CEO de ITHAK SA, société de promotion immobilière, et consultant. Dans ces différents chantiers, il travaille à l'émergence d'un nouveau paradigme pour répondre au vieillissement démographique et à l’inclusion.
Vous innovez avec un service de téléassistance en Belgique francophone. Peux-tu nous expliquer comment fonctionne un tel service en Belgique ?
Alain Legros : En Belgique, la téléassistance est historiquement non-profit. Le service est géré par des « Mutuelles » associées de près aux familles politiques qui ont façonné notre pays. Une démocratie de coalitions. Ces mutuelles sont financées par le gouvernement et par leurs bénéficiaires. Elles se sont développées dès le début du vingtième siècle dans une culture de solidarité "pilarisée".
Le coût d'abonnement pour le bénéficiaire peut être moindre pour un adhérent mutualiste s’il prend ce service dans « sa » mutuelle. Il n’a à ce moment pas le choix du produit et du service. Il s’acquitte pourtant d’une redevance pour tous services/assurances au-delà du remboursement des prestations de l'assurance obligatoire nationale pour soins de santé et indemnités qui sont gratuits pour tous résidents nationaux.
Certaines interventions et primes peuvent être accordées par sa commune, son Centre Publique d’Action sociale, et les Provinces. Ces aides réduisent de 50% ou plus les mensualités du service, selon le lieu de résidence et le statut social/l’âge. Certaines personnes, cumulant les interventions, reçoivent gratuitement le service.
Ces outils sont essentiels, mais non suffisants pour garantir une vie autonome et sécurisée. Ils doivent s'accompagner d'aides humaines. Nous constatons malheureusement en Belgique une carence d’accès aux soins médicaux dans certains territoires.
C'est pourquoi, je pense que les technologies nouvelles en matière de téléassistance resteront inefficientes si l’information qu’elles délivrent n’est pas utilisée avec accompagnement humain de soin, de services et de prévention.
Est-ce que ce “monopole” des organismes “non-profit” se retrouve dans d’autres secteurs de la prise en charge du grand âge et du handicap ?
Alain Legros : Oui, le "monopole" du non-profit est présent dans les secteurs liés au grand âge et au handicap. Nos gouvernements régionaux et leurs administrations agréent et subventionnent majoritairement le résidentiel senior et handicap. Il y a bien sûr des acteurs privés. Les mutuelles (essentiellement socialistes et chrétiennes) ont développé une offre importante d’hébergement. Cela étant, le gouvernement ne subventionne plus de nouveaux « lits » aujourd’hui dans ces secteurs.
Les coûts d’hébergement en MRS (vos EHPAD) ont considérablement augmenté récemment. L’absence d’offre dans certains territoires, le souhait majoritaire des séniors de vivre/vieillir à domicile, la difficulté de construire un projet de vie de qualité dans une architecture de type hospitalier, la difficulté croissante de recrutement des acteurs du soin, l’appauvrissement des finances publiques, l’augmentation du besoin nous invitent aujourd’hui à « revoir la copie ».
Nous devons imaginer d'autres paradigmes.
À quoi ces autres paradigmes pourraient-ils ressembler ?
Alain Legros : Accompagnant plusieurs collectivités locales avec la Fondation Vestalia, (dont certaines n'auront jamais d'EHPAD, de Résidence services ou de résidentiel handicap), je propose aux acteurs publics et privés de formuler un projet transversal qui révèle une conscience commune des enjeux, la nécessité de coopérer, d’inviter à la diversité d’approche et à l’audace du changement.
J'insiste par ailleurs toujours sur l'importance de ne pas se limiter à la problématique du vieillissement. La fragilité concerne une grande diversité de profils humains. Allant de la jeune mère avec enfants à charge, à l’accident de la vie, à la solitude de la personne âgée. Le projet est d'offrir, dans le local, un habitat inclusif et évolutif pouvant s'adapter aux besoins de chacun. Le travail de Xavier Van Rooyen pour ITHAK SA et l'exemplarité militante d'appartements conçus par Sophie Delhay à Dijon illustrent bien cette approche.
Si l’on considère l’évolution future des besoins, il est temps d’inciter à construire l’habitat pour tous autrement et de pouvoir y vivre le plus longtemps possible.
Par ailleurs, notre culture d'habitat a longtemps privilégié de plus grands espaces intérieurs que ceux de nos voisins européens. Toutefois, pour conserver aujourd’hui une accessibilité financière au logement, il est peut-être temps de repenser chez nous la superficie du logement. En réduisant l'espace privé, offrir davantage d'espace public intérieur et extérieur pour favoriser le lien social.
Je crois aussi en l'apport de la technologie. Que ce soit un frigo connecté à l’accueil pour prendre un repas quand on n’a pas eu le temps, ou une lampe connectée pour une levée de doute sur une chute, l'innovation peut faciliter et sécuriser le quotidien. L'idée d'un concierge « sociale » en charge de copropriété m'est également chère. Quelqu'un qui sera là de jour pour recevoir, écouter, aider, organiser du lien, que ce soit pour accueillir les enfants d'une mère isolée qui rentre plus tard ou une personne âgée en souci…
Nous devons revoir profondément la proposition résidentielle médicalisée. Inviter au retour d’une maison des anciens au centre de la communauté, plus modeste en taille. Et dans chaque bassin d’habitat, un lieu d’échange intergénérationnel, un lieu d’apprentissage de la prévention, d’activités, de culture, d’identité par le service pour le sénior actif, de restauration. Le tout étant interconnecté.
Construire et agir en amont pour que la nécessité du résidentiel médicalisé advienne le plus tard possible ou jamais.
Si l'on se penche sur la fin de vie, nous devons là encore penser local et éviter le déracinement. Quelques lits dans un territoire proche de la famille, permettant une continuité du "roman de vie" du patient. Reparler de la mort. C'est une approche différente de celle d'une résidence service.
Chez nous, en Belgique, une grande majorité des aînés souhaite rester à domicile. Seuls 6 à 7% des plus de 65 ans sont en EHPAD. Nous devons donc répondre à la majorité. Travailler à réunir les ressources humaines du soin existantes pour le suivi. Dans une économie d’échelle (centre médical, professions libérales, soin à domicile, etc.). Cesser de penser en silo. Renforcer l'économie locale du service et du soin et la solidarité intergénérationnelle.
Avez-vous l’impression que cette approche spécifique est aussi présente en France ?
Alain Legros : Oui, cette approche est présente en France, mais de manière limitée me semble-t-il. Je regarde plutôt vers le nord ou la Suisse pour l’exemplarité. Notre ami Klaus Niederlander (ex-directeur AAL Europe) témoigne également d’autres initiatives régionales européennes remarquables.
Par ailleurs, comme tout pays, la France est multiple de réalités sociales et culturelles. Vous avez, ce me semble, des pépites qui mériteraient de faire école. Je pense à un échange dernier avec Vivre en Béguinage.
Je suis convaincu que nous pouvons améliorer profondément le cadre actuel en questionnant nos représentations et en osant sortir du connu. L’hospice, la maladrerie, le lazaret, le « Hors les murs » ne sont pas loin dans l’imaginaire collectif.
L'évolution économique (appauvrissement) nous y oblige par ailleurs.
Est-ce qu’il y aurait un intérêt à dupliquer l’organisation française de la Silver économie en Belgique ?
Alain Legros : Dupliquer l'organisation française de la Silver économie en Belgique n'est pas forcément pertinent selon moi. Pour les raisons historiques que j’ai citées, j’ai le sentiment que notre communauté nationale n’est pas prête à recevoir ce modèle résolument économique et segmenté. Cela étant, Silver Valley, vos Gérontopoles, votre filière Silver économie, etc. ont eu le grand mérite d’alerter sur le sujet du vieillissement et ont pu inciter à des travaux remarquables.
Il est à noter également que la Flandre en Belgique nous montre des exemplarités remarquables également et innovante.
Pour conclure, en travaillant avec nos experts de Vestalia, en apprenant beaucoup de l’international, en me projetant à 65 ans dans mon futur proche et dans mon souhait personnel et collectif, j’ai acquis la conviction que la société civile et l’entreprise peuvent être un moteur déterminant de changement à condition qu’elle réponde à un besoin, à un souhait, à un sens que je ne trouve plus guère dans l’establishment national mais bien dans l’exemplarité profit/non profit régionale européenne.
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